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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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rompus, la solitude de la forêt, ses sensations, ses conversations avec le vieux gardien des ruches, et elle s’interrompait à chaque instant pour lui dire : « Non, ce n’est pas ça… je ne puis pas m’exprimer… vous ne me comprenez pas, j’en suis sûre !… » Et malgré les protestations réitérées du prince André elle se désolait de ne pouvoir rendre l’impression exaltée et poétique qu’elle avait ressentie ce jour-là… « Ce vieillard était adorable… et la forêt était si sombre et il avait de si bons yeux !… Non, non, je ne puis pas, je ne sais pas raconter, » ajoutait-elle en devenant toute rouge. Le prince André sourit à ce souvenir, comme il avait souri alors en la regardant : « Je la comprenais alors, pensait-il ; je comprenais sa franchise, l’ingénuité de son âme : oui, c’était son âme que j’aimais en elle, que j’aimais si profondément, si fortement, de cet amour qui me donnait tant de bonheur ! » Et subitement il tressaillit, en se rappelant le dénouement : « Il n’avait guère besoin de tout cela, « lui » ! Il n’a rien vu, rien compris, elle n’était pour « lui » qu’une fraîche et jolie fille qu’il n’a pas daigné lier à son sort, tandis que moi… Et cependant « il » vit encore, et il s’amuse !… » À ce souvenir, il lui sembla qu’on le touchait avec un fer rouge : il se redressa brusquement, se leva et se remit à marcher.

VIII
    Le 6 septembre, la veille de la bataille de Borodino, le préfet du palais de l’Empereur des Français, Monsieur de Beausset, et le colonel Fabvier arrivèrent, l’un de Paris, l’autre de Madrid, et trouvèrent Napoléon à son bivouac de Valouïew. Monsieur de Beausset, revêtu de son uniforme de cour, se fit précéder d’un paquet à l’adresse de l’Empereur, qu’il avait été chargé de lui remettre. Pénétrant dans le premier compartiment de la tente, il défit l’enveloppe, tout en s’entretenant avec les aides de camp qui l’entouraient. Fabvier s’était arrêté à l’entrée, et causait au dehors. L’Empereur Napoléon achevait sa toilette dans sa chambre à coucher, et présentait à la brosse du valet de chambre, tantôt ses larges épaules, tantôt sa forte poitrine, avec le frémissement de satisfaction d’un cheval qu’on étrille. Un autre valet de chambre, le doigt sur le goulot d’un flacon d’eau de Cologne, en aspergeait le corps bien nourri de son maître, persuadé que lui seul savait combien il fallait de gouttes et comment il fallait les répandre. Les cheveux courts de l’Empereur se plaquaient mouillés sur son front, et sa figure, quoique jaune et bouffie, exprimait un bien-être physique.
    « Allez ferme, allez toujours ! » disait-il au valet de chambre, qui redoublait d’efforts.
    L’aide de camp qui venait d’entrer pour faire son rapport sur l’engagement de la veille et le nombre des prisonniers, attendait à la porte l’autorisation de se retirer. Napoléon lui jeta un regard en dessous.
    « Pas de prisonniers ? répéta-t-il : ils aiment donc mieux se faire écharper ?… Tant pis pour l’armée russe ! – et continuant à faire le gros dos et à présenter ses épaules aux frictions de son valet de chambre : – C’est bien, faites entrer Monsieur de Beausset, ainsi que Fabvier, dit-il à l’aide de camp.
    – Oui, Sire, » répondit ce dernier en s’empressant de sortir.
    Les deux valets de chambre habillèrent leur maître, en un tour de main, de l’uniforme gros-bleu de la garde, et il se dirigea vers le salon d’un pas ferme et précipité. Pendant ce temps, Beausset avait rapidement déballé le cadeau de l’Impératrice, et l’avait placé sur deux chaises, en face de la porte par laquelle l’Empereur devait entrer ; mais ce dernier avait mis une telle hâte à sa toilette, qu’il n’avait pas eu le temps de disposer convenablement la surprise destinée à Sa Majesté. Napoléon remarqua son embarras, et, feignant de ne pas s’en apercevoir, fit signe à Fabvier d’approcher. Il écouta, les sourcils froncés et sans dire un mot, les éloges que le colonel faisait de ses troupes qui se battaient à Salamanque, à l’autre bout du monde, et qui n’avaient, selon lui, qu’une seule et même pensée : se montrer dignes de leur Empereur, et une seule crainte : celle de lui déplaire ! Cependant le résultat de la bataille n’avait pas été heureux, et Napoléon se consolait en

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