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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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nourriture. Une partie des soldats se dirigea, en s’enfonçant dans la neige jusqu’aux genoux, vers un petit bois de bouleaux, adroite de la route, et l’on y entendit aussitôt retentir les chansons et le bruit des haches qui coupaient les branches. L’autre partie s’agitait autour des fourgons et en tirait les marmites, les biscuits et le fourrage pour les chevaux, déjà attachés au piquet ; d’autres enfin s’étaient dispersés dans le village pour nettoyer les logements des officiers de l’état-major, en enlever les cadavres des Français, ainsi que les planches et la paille des toits et les branches sèches des haies pour s’en faire des abris. Une quinzaine de soldats étaient précisément occupés à démolir une de ces clôtures, qui entourait une remise dont le toit avait déjà été arraché.
    « Eh ! eh ! poussons tous à la fois, » criaient plusieurs d’entre eux, et la haie couverte de neige se balançait en faisant entendre dans les ténèbres de la nuit le craquement sec causé par la gelée.
    Les pieux gémissaient sous leur poussée, et enfin la haie céda à moitié, en entraînant avec elle les soldats. Une formidable explosion de rires accompagna leur chute.
    « À vous deux, tenez-la…
    – Ici le levier !
    – Où te fourres-tu donc !
    – Voyons, ensemble, enfants, en mesure ! »
    Tous se turent ! une voix, au timbre bas et velouté, entonna une chanson ; à la fin du troisième refrain, comme la dernière note s’éteignait, tous les soldats lancèrent ensemble un cri modulé : « Ça marche ! ensemble, enfants ! » Mais, malgré tous leurs efforts, la haie résistait encore, et l’on entendit leurs respirations haletantes.
    « Eh ! vous autres de la sixième compagnie, arrivez donc… aidez-nous, nous vous le rendrons ! »
    Quelques hommes de la sixième compagnie, qui retournaient au village, accoururent à l’appel, et un moment après ils emportaient tous ensemble la haute clôture, dont les branches tordues et à moitié disjointes meurtrissaient sous leur poids les épaules des soldats essoufflés.
    « Eh ! va donc… Tu buttes, animal !
    – Que faites-vous là ? s’écria tout à coup d’un ton impératif un sous-officier qui s’élançait vers les porteurs ; le général est dans cette isba. Je vais vous arranger, imbéciles que vous êtes, continua-t-il en donnant une vigoureuse bourrade au premier soldat qui lui tomba sous la main.
    – Silence donc !… pas tant de tapage ! »
    Les soldats, se turent, et celui qui avait reçu le coup de poing grommela entre ses dents, en voyant le sous-officier s’éloigner :
    « Tudieu ! quelle tape !… J’en ai la figure qui me saigne !
    – Cela te déplaît, dis donc ? » dit une voix railleuse. Et les soldats, marchant avec précaution, poursuivirent leur chemin, mais, à la sortie du village, la gaieté leur revint de plus belle, et ils reprirent leurs joyeux propos, entremêlés de jurons inoffensifs.
    Les officiers supérieurs, réunis dans l’isba, devisaient vivement, en prenant leur thé, sur la journée qui venait de s’écouler et sur les manœuvres en projet pour le lendemain : il s’agissait d’une marche de flanc sur la gauche, pour couper les communications du vice-roi et le faire prisonnier.
    Pendant que les hommes traînaient la haie en trébuchant à chaque pas, le feu s’allumait sous les marmites, le bois éclatait en crépitant, la neige fondait, et les ombres noires des soldats, qui battaient le sol de leurs semelles, se mouvaient en tous sens. Sans que le moindre commandement eût été donné, briquets et haches travaillaient à l’unisson : d’un côté on empilait la provision de bois pour la nuit, et l’on dressait les tentes pour les officiers ; de l’autre on faisait cuire le souper, on nettoyait les fusils et l’on astiquait les effets d’équipement. La haie, soutenue par des pieux, fut placée en demi-cercle du côté du nord pour empêcher le feu de s’éteindre. On sonna la retraite, on fit l’appel, on mangea, et l’on s’installa autour des foyers, les uns raccommodant leur chaussure ou fumant leur pipe, les autres se mettant tout nus et grillant à plaisir leur vermine.

VIII
    Les conditions exceptionnellement pénibles de la vie des soldats russes, qui souffraient du manque de chaussure et de vêtements chauds, qui couchaient à la belle étoile et marchaient dans la neige par dix-huit degrés de froid, sans même recevoir la

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