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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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ration réglementaire, auraient pu faire croire avec quelque raison qu’ils devaient présenter l’aspect le plus triste et le plus navrant. Jamais au contraire l’armée, même dans la situation la plus favorable, n’avait été aussi en train et aussi bien disposée. Cela provenait de ce que chaque jour elle rejetait hors de son sein tout ce qu’elle avait d’hommes affaiblis et découragés. Il n’y restait donc que la fleur des troupes, celles qui conservaient la force de l’âme et celle du corps.
    De nombreux soldats de la huitième compagnie s’étaient réunis derrière l’abri de la haie. Deux sergents-majors entre autres y avaient réclamé une place autour du feu, qui y était plus vif que partout ailleurs, sous prétexte qu’ils avaient aidé à y apporter des bûches.
    « Eh, dis donc, Makéew… où t’es-tu perdu ? Est-ce que les loups t’auraient mangé ? Apporte-nous donc du bois, fainéant, cria un soldat avec des cheveux roux et une figure rougie par le froid, dont la fumée faisait cligner les yeux, mais qui ne s’éloignait pas du brasier.
    – Vas-y donc, « la corneille », répondit celui à qui il s’adressait, en se retournant vers un autre de ses camarades.
    Le soldat roux n’était ni sous-officier ni caporal, mais sa vigueur physique lui donnait le droit de commander à ceux qui étaient plus faibles que lui. « La corneille », petit soldat malingre, au nez pointu, se leva avec soumission, mais au même moment la lueur du bûcher éclaira la silhouette d’un jeune troupier de bonne tournure qui s’avançait en pliant sous le faix d’une brassée de branches sèches.
    « Voilà qui est bien, donne-les ici. »
    Les branches furent cassées, jetées sur les charbons, et, grâce au souffle des bouches et aux pans des capotes mis en mouvement, la flamme jaillit et pétilla. Les soldats s’approchèrent, allumèrent leurs pipes, pendant que leur jeune camarade, les poings sur les hanches, piétinait sur place pour réchauffer ses pieds glacés.
    « Ah, petite mère, la rosée est froide mais belle… chantonnait-il à demi-voix.
    – Eh ! dis donc, tes semelles s’envolent, s’écria « le roux », en voyant pendre une des semelles du jeune garçon… C’est dangereux de danser, sais-tu ? »
    Le danseur s’arrêta, arracha le morceau de cuir qui pendillait et le jeta au feu.
    « C’est vrai, » dit-il, et, tirant de sa giberne un morceau de drap français gros-bleu, il en entoura son pied.
    « On nous en donnera bientôt d’autres, dit un des soldats, et même nous en aurons une double paire !… Et Pétrow, ce fils de chienne, est donc resté parmi les traînards ?
    – Je l’ai cependant vu, répondit un autre.
    – Eh bien ! quoi, c’est un de plus de…
    – À la troisième compagnie il a manqué hier neuf hommes à l’appel !
    – La belle nouvelle ! Que faire, que diable, quand les pieds sont gelés ?
    – À quoi bon y penser ? murmura le sergent-major.
    – Tu as donc bien envie d’en avoir de pareils ? dit un vieux soldat en s’adressant d’un air de reproche à celui qui avait parlé des pieds gelés.
    – Qu’est-ce que tu crois donc, toi ? s’écria, de derrière le brasier, d’une voix aiguë et tremblante, celui qu’on avait appelé « la corneille ». Si le corps reste sain, on maigrit, et puis on meurt… c’est comme moi, je n’en puis plus !… » et il ajouta d’un air résolu en interpellant le sergent-major : « Qu’on m’envoie à l’hôpital ! Ça me fait mal partout, la fièvre ne me lâche pas, et alors, moi aussi, je resterai en route !
    – Voyons, voyons ! » répondit le sergent-major avec calme.
    « La corneille » se tut et la conversation recommença sur toute la ligne.
    « On en a pris pas mal de Français aujourd’hui, mais quant à leur chaussure, ce n’est pas la peine d’en parler, dit un soldat en changeant de sujet.
    – Ce sont les cosaques qui les ont déchaussés ; on a nettoyé l’isba pour le colonel et on les a tous emportés… Eh bien, croiriez-vous, mes enfants, cela faisait de la peine de les voir ainsi bousculer. Il y en avait un qui vivait encore et qui marmottait quelque chose dans sa langue… Et comme il est propre ce peuple, mes enfants ? reprit le premier… et blanc, blanc comme ce bouleau qu’est là-bas…, et il y en a de braves parmi eux, et de très nobles, que je vous dirai !
    – Qu’est-ce qui t’étonne ? On en recrute chez eux de

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