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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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l’administration militaire, il laissait ses généraux agir à leur guise, et menait une vie de plaisirs, en attendant l’arrivée du Souverain.

XI
    Le 11 décembre, Sa Majesté, accompagnée de sa suite, du comte Tolstoï, du prince Volkonsky et d’Araktchéïew, arriva dans son traîneau de voyage, droit au château de Vilna. Malgré un froid très vif, une centaine de généraux et d’officiers des états-majors, ainsi qu’une garde d’honneur du régiment de Séménovsky, l’attendaient au dehors.
    Le courrier qui précédait le Tsar, dans une troïka menée à fond de train, s’écria :
    « Le voici ! » Konovnitzine s’élança dans le vestibule pour annoncer le Tsar à Koutouzow, qui attendait dans la chambre du suisse.
    Une minute plus tard, la poitrine couverte de décorations, le ventre comprimé par son écharpe, il s’avança sur le perron en se balançant de toute sa forte et grasse personne, mit son chapeau, prit ses gants à la main, et, descendant avec peine les degrés, reçut le rapport qu’il devait remettre à l’Empereur.
    Une seconde troïka passa ventre à terre, et tous les yeux se fixèrent sur un traîneau qui s’avançait rapidement derrière elle, et au fond duquel on apercevait déjà l’Empereur et Volkonsky.
    Accoutumé, depuis cinquante ans, à l’émotion que lui causait invariablement une arrivée impériale, le général en chef la ressentit cette fois comme toujours : il tâta, avec une hâte inquiète, ses décorations, redressa son chapeau, et, au moment où l’Empereur mit pied à terre, leva les yeux sur lui ; puis, prenant courage, il s’avança, et lui présenta le rapport, en lui parlant de sa voix insinuante et voilée. L’Empereur l’enveloppa des pieds à la tête d’un rapide coup d’œil, et fronça imperceptiblement les sourcils, mais, se dominant aussitôt, il lui ouvrit les bras et l’embrassa. De nouveau, l’impression que lui fit cette accolade familière, en se rattachant peut-être à ses pensées intimes, agit sur lui comme d’habitude et se traduisit par un sanglot.
    L’Empereur salua les officiers, la garde des Séménovsky, et, serrant encore une fois la main au maréchal, entra au château.
    Resté seul avec lui, il ne lui cacha pas son mécontentement des fautes qu’il avait commises à Krasnoé et à la Bérésina, ainsi que de la lenteur apportée à la poursuite de l’ennemi, et termina en lui exposant le plan d’une campagne hors du pays. Koutouzow ne fit ni objections ni remarques. Sa figure n’exprimait qu’une soumission complète et impassible, la même qu’il avait témoignée, sept ans auparavant, en recevant les ordres de l’Empereur sur le champ d’Austerlitz. Lorsqu’il le quitta, la tête inclinée sur sa poitrine, et traversant la grande salle, de son pas lourd et chancelant, une voix l’arrêta en lui disant :
    « Votre Altesse ! »
    Koutouzow releva la tête, et regarda longtemps le comte Tolstoï, qui était debout devant lui et lui présentait sur un plateau d’argent un petit objet. Il semblait ne pas comprendre ce qu’on lui voulait. Tout à coup un imperceptible sourire passa sur sa large figure, et, s’inclinant respectueusement, il prit l’objet qui était sur le plateau. C’était le Saint-Georges de première classe.

XII
    Le lendemain, Koutouzow donna un grand banquet, suivi d’un bal que l’Empereur honora de sa présence. Du moment qu’il avait reçu le Saint-Georges, on lui rendait les plus grands honneurs, mais le mécontentement du Souverain n’était un secret pour personne. Les convenances seules étaient observées, et l’Empereur en donnait l’exemple tout le premier ; mais tout bas on disait que ce vieillard était coupable et tombé en enfance. Lorsque, à l’entrée de Sa Majesté dans la salle de bal, Koutouzow, suivant les traditions de l’époque de Catherine, fit incliner devant lui les drapeaux ennemis, Alexandre fronça le sourcil et murmura quelques mots, et entre autres ceux-ci :
    « Vieux comédien ! »
    Sa mauvaise humeur contre Koutouzow provenait surtout de ce que ce dernier ne voulait pas ou ne pouvait pas comprendre la nécessité de la nouvelle campagne projetée.
    Le lendemain de son arrivée à Vilna, le Tsar avait dit aux officiers réunis :
    « Vous n’avez pas sauvé la Russie seule, vous avez sauvé l’Europe ! »
    Tous comprirent alors que la guerre n’était pas finie. Mais Koutouzow n’y voulait rien entendre, et disait

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