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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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miliciens, qu’on appela aussitôt, s’arrêtèrent derrière le groupe d’officiers ; le prince André, la face contre terre, respirait bruyamment.
    « Voyons, arrivez donc ! » dit une voix. Les paysans s’approchèrent, et le soulevèrent par la tête et par les pieds : il poussa un gémissement, les paysans se regardèrent et le remirent à terre.
    « Prenez-le quand même ? » répéta-t-on.
    On le souleva une seconde fois, et on le posa sur le brancard.
    « Ah ! mon Dieu, qu’est-ce donc ? Au ventre ?… c’est fini alors ! dirent plusieurs officiers.
    – Il a passé à toucher mon oreille ! » ajouta l’aide de camp.
    Les porteurs s’éloignèrent à la hâte par le sentier qu’ils avaient frayé du côté de l’ambulance.
    « Eh ! les paysans, allez donc au pas, s’écria un officier en arrêtant les premiers, qui, en marchant inégalement, secouaient le brancard.
    – Fais attention, Fédor ! dit l’un d’eux.
    – M’y voilà, m’y voilà ! répondit celui-ci joyeusement en emboîtant le pas.
    – Excellence, mon prince ! » dit Timokhine d’une voix tremblante en accourant vers le brancard.
    Le prince André ouvrit les yeux, jeta un regard à celui qui lui parlait, et referma les paupières.
     
    Les miliciens portèrent le prince André dans le bois, où se tenaient les voitures de malades et l’ambulance, composée de trois tentes dressées au bord d’un jeune taillis de bouleaux. Les chevaux étaient attelés aux voitures, et mangeaient tranquillement leur avoine ; les moineaux becquetaient les grains tombés à leurs pieds, et les corbeaux, flairant le sang, volaient d’arbre en arbre, en croassant avec impatience. Autour des tentes étaient assis, couchés, debout, des hommes de toute arme aux uniformes ensanglantés ; autour d’eux, des groupes de brancardiers, qu’on avait peine à écarter, les regardaient d’un air triste et abattu. Sourds à la voix des officiers, ils restaient penchés sur les brancards, essayant de comprendre la cause du terrible spectacle qu’ils avaient sous les yeux. Dans les tentes on entendait tantôt des sanglots de colère et de douleur, tantôt des gémissements plaintifs ; de temps à autre, un chirurgien sortait en courant pour chercher de l’eau, et indiquait les blessés qu’il fallait faire entrer et qui attendaient leur tour en criant, en jurant, en pleurant et en demandant de l’eau-de-vie. Quelques-uns déliraient. Le prince André, comme chef de régiment, fut porté, à travers tous ces blessés, à la tente la plus voisine, et ses porteurs s’arrêtèrent pour recevoir de nouveaux ordres. Il ouvrit les yeux, et ne comprit pas ce qui se passait autour de lui : la prairie, la touffe d’absinthe, le champ labouré, cette toupie noire qui tournait, le violent désir de vivre qui s’était emparé de lui, tout lui revint à la mémoire. À deux pas, parlant haut, et attirant l’attention de tout le monde, un sous-officier grand, bien fait, et dont on voyait les cheveux noirs sous le bandage qui les couvrait à moitié, se tenait appuyé contre une branche : les balles l’avaient frappé à la tête et au pied. On l’écoutait avec curiosité.
    « Nous l’avons si bien délogé, disait-il, qu’il s’est enfui en abandonnant tout !
    – Nous avons fait prisonnier le Roi lui-même, criait un soldat dont les yeux étincelaient.
    – Ah ! si les réserves étaient arrivées, il n’en serait rien resté, parole d’honneur ! »
    Le prince André écoutait comme les autres, et en éprouvait un sentiment de consolation.
    « Mais à présent, que m’importe ! se disait-il. Que m’est-il donc arrivé ? et pourquoi suis-je ici ?… Pourquoi ce désespoir de quitter la vie ? Il y a donc dans cette vie quelque chose que je n’ai pas compris ? »

XIX
    Un des chirurgiens, dont le tablier et les mains étaient tout tachés de sang, sortit de la tente : il tenait un cigare entre l’index et le pouce. Il regarda vaguement dans l’espace au-dessus des malades ; on voyait qu’il avait grand besoin de respirer, mais au bout d’un moment son regard se reporta à gauche et à droite ; il soupira et baissa les yeux.
    « À l’instant, » dit-il à un chirurgien qui lui indiquait le prince André, et il le fit transporter dans la tente.
    Un murmure s’éleva parmi les blessés.
    « Ne dirait-on pas que dans l’autre monde aussi ces messieurs seuls ont le droit de vivre ?
    Le prince André fut

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