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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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démettre de ses fonctions. Car, à part le pouvoir qu’il aimait, auquel il était habitué, il se croyait surtout destiné à la gloire, sauver son pays : n’était-ce pas là ce qu’avait eu en vue l’opinion publique en demandant sa nomination, contrairement au désir de l’Empereur. Il se croyait seul capable de commander l’armée dans ces circonstances critiques, seul capable de lutter sans terreur contre son invincible adversaire, et pourtant il fallait prendre un parti, et mettre un terme aux conversations inopportunes de son entourage. Appelant à lui les plus anciens généraux, il leur dit :
    « Bonne ou mauvaise, ma tête doit s’aider elle-même !… » Et, montant en voiture, il retourna à Fili.

IV
    Le conseil de guerre se réunit à deux heures dans la plus spacieuse des deux isbas qui appartenaient à un nommé André Sévastianow. Les paysans, les femmes et de nombreux enfants se pressaient devant la porte de l’autre isba ; la petite fille d’André, Malacha, âgée de six ans, que Son Altesse avait embrassée et à laquelle il avait donné un morceau de sucre, était seule restée blottie sur le poêle de la grande chambre, à regarder curieusement et timidement les uniformes et les croix des généraux qui entraient l’un après l’autre, et allaient s’asseoir sous les images. Le grand-père, ainsi que Malacha appelait Koutouzow, était assis à part dans l’angle obscur du poêle. Affaissé dans son fauteuil de campagne, il témoignait de son agacement, tantôt en lançant des interjections étouffées, tantôt en tortillant nerveusement le collet de son uniforme, qui, quoique ouvert, semblait le gêner ; il serrait la main à quelques-uns des survenants, et saluait les autres. Son aide de camp Kaïssarow fit un pas en avant pour tirer le petit rideau de la fenêtre qui était en face de son chef, mais, à un geste d’impatience de Koutouzow, il comprit que Son Altesse désirait rester dans le demi-jour pour ne pas laisser voir sa physionomie. Il y avait déjà tant de monde autour de la table en bois de sapin, couverte de plans, de cartes, de papiers et de crayons, que les domestiques militaires apportèrent encore un banc, sur lequel s’assirent les derniers venus, Yermolow, Kaïssarow et Toll. À la place d’honneur, juste sous les images, se tenait Barclay de Tolly, la croix de Saint-Georges au cou. Sa figure pâle et maladive, avec son grand front, que sa calvitie rendait encore plus proéminent, trahissait les angoisses de la fièvre dont il ressentait en ce moment même le violent frisson. Ouvarow, assis à côté de lui, lui racontait quelque chose à voix basse et avec des gestes saccadés. Personne du reste ne parlait haut. Le gros petit Doctourow, les sourcils relevés, et les mains croisées sur la poitrine, écoutait avec attention. En face de lui, le comte Ostermann-Tolstoy appuyant sur son coude sa tête aux traits hardis et aux yeux brillants, paraissait absorbé dans ses pensées. Raïevsky, de son geste habituel, ramenait sur ses tempes ses cheveux noirs, qu’il enroulait autour de ses doigts, et jetait des regards impatients vers Koutouzow et vers la porte. La belle et sympathique physionomie de Konovnitzine s’illuminait d’un aimable sourire, car il avait surpris le regard de Malacha, et s’amusait à lui faire des petits signes, auxquels elle répondait timidement.
    On attendait Bennigsen, qui, sous prétexte d’inspecter une seconde fois la position, achevait tranquillement chez lui son succulent dîner ; deux heures, de quatre à six, se passèrent ainsi en causeries à voix basse, sans qu’on prît aucune décision.
    Lorsque enfin Bennigsen arriva, Koutouzow se rapprocha de la table, mais de façon à ne pas laisser éclairer ses traits par les bougies qu’on venait d’y poser.
    Bennigsen ouvrit aussitôt le conseil en formulant la proposition suivante :
    « Devons-nous abandonner sans combat l’antique et sainte capitale de la Russie, ou bien devons-nous la défendre ? »
    Un long et profond silence succéda à ces paroles, tous les visages se contractèrent, tous les yeux se tournèrent vers Koutouzow, qui, les sourcils froncés, toussaillait et s’efforçait de surmonter son émotion. Malacha l’observait aussi.
    « L’antique et sainte capitale de la Russie ? » répéta-t-il tout à coup avec colère et en accentuant les mots, pour en bien faire ressortir la fausse note.
    « Vous me permettrez de dire à Votre

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