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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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ne pouvait lui donner son nom, et s’ingénia à lui expliquer les motifs qui l’empêchaient de satisfaire sa curiosité.
    « De grâce, dit le capitaine en l’interrompant, je comprends vos raisons : vous êtes sans doute officier supérieur, ce n’est pas mon affaire. Je vous dois la vie, cela me suffit, je suis tout à vous. Vous êtes gentilhomme ? » ajouta-t-il avec une nuance d’interrogation.
    Pierre inclina la tête.
    « Votre nom de baptême, s’il vous plaît ?… M. Pierre, dites vous ?… Parfait ! C’est tout ce que je désire savoir. »
    Lorsqu’on eut apporté le mouton, l’omelette, le samovar, avec l’eau-de-vie et le vin que les Français avaient pris dans une cave voisine, Ramballe engagea Pierre à partager son repas, et lui-même se mit aussitôt à l’œuvre en dévorant à belles dents comme un homme affamé et bien portant, en faisant claquer ses lèvres et en accompagnant le tout de joyeuses exclamations : « Excellent ! exquis ! » Son visage s’était empourpré peu à peu. Pierre, qui était également à jeun, fit honneur au dîner. Morel, le brosseur, apporta une casserole remplie d’eau chaude, dans laquelle il posa une bouteille de vin rouge, et en plaça sur la table une autre qui contenait du kvass ; les Français avaient déjà baptisé ce breuvage du nom de : « limonade de cochon ». Morel en faisait un grand éloge, mais comme le capitaine avait du bon vin devant lui, il laissa Morel savourer le kvass tout à son aise. Roulant ensuite une serviette autour de la bouteille de bordeaux, il s’en versa un grand verre et en offrit un également à Pierre. Une fois sa faim apaisée et la bouteille vidée, il reprit la conversation avec un nouvel entrain.
    « Oui, mon cher monsieur Pierre, je vous dois une fière chandelle de m’avoir sauvé de cet enragé… J’en ai assez, voyez-vous, de balles dans le corps : tenez, en voilà une… elle me vient de Wagram celle-là, dit-il, en se touchant le côté, et deux que j’ai reçues à Smolensk, continua-t-il en montrant une cicatrice sur sa joue… Et cette jambe, qui ne veut pas marcher ? C’est à la grande bataille du 7, à la Moskva, que j’ai eu cet atout. Crénom, c’était beau ! Il fallait voir ça, c’était un déluge de feu. Vous nous avez taillé une rude besogne ; vous pouvez vous en vanter, nom d’un petit bonhomme !… Et ma parole, malgré l’atout que j’y ai gagné, je serais prêt à recommencer. Je plains ceux qui n’ont pas vu cela.
    – J’y étais, dit Pierre.
    – Bah ! vraiment ! eh bien, tant mieux, vous êtes de fiers ennemis, tout de même. La grande redoute a été tenace, nom d’une pipe, et vous nous l’avez fait crânement payer. J’y suis allé trois fois, tel que vous me voyez. Trois fois nous étions sur les canons, et trois fois on nous a culbutés comme des capucins de cartes. Oh ! c’était beau, monsieur Pierre ! Vos grenadiers ont été superbes, tonnerre de Dieu ! Je les ai vus six fois de suite serrer les rangs, et marcher comme à une revue. Les beaux hommes ! Notre roi de Naples, qui s’y connaît, a crié : bravo !… Ah ! ah ! soldats comme nous autres ! ajouta-t-il après un moment de silence… Tant mieux, tant mieux ! Terribles à la bataille, galants avec les belles… voilà les Français, n’est-ce pas, monsieur Pierre ? ajouta-t-il en clignant de l’œil. La gaieté du capitaine était si naïve, si franche, il était si satisfait de lui-même, que Pierre fut sur le point de répondre à son coup d’œil. Le mot « galants » rappela sans doute au capitaine la situation de Moscou, car il poursuivit : « À propos, est-ce vrai que toutes les femmes ont quitté la ville ? Une drôle d’idée : qu’avaient-elles à craindre ?
    – Est-ce que les dames françaises ne quitteraient pas Paris si les Russes y entraient ? demanda Pierre.
    – Ah ! ah !… répondit le Français en éclatant de rire et en lui tapant sur l’épaule. Ah ! elle est forte, celle-là ! Paris… mais Paris, Paris…
    – Paris est la capitale du monde ? » reprit Pierre en achevant la phrase commencée.
    Les yeux souriants du capitaine se fixèrent sur lui.
    « Eh bien, si vous ne m’aviez pas dit que vous êtes Russe, j’aurais parié que vous étiez Parisien. Vous avez ce je ne sais quoi, ce…
    – J’ai été à Paris, j’y ai passé plusieurs années, reprit Pierre.
    – Oh ! cela se voit bien… Paris !… Mais un

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