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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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porte cochère : on entendait leurs éclats de rire et le bruit des conversations qu’ils échangeaient dans deux langues étrangères l’une à l’autre. Leur attention se portait sur les lueurs qui grandissaient à l’horizon, bien qu’il n’y eût encore rien de menaçant dans ces flammes si éloignées. En contemplant le ciel étoilé, la lune, la comète, la clarté de l’incendie, Pierre éprouva un attendrissement indicible. « Que c’est beau ! se dit-il. Que faut-il de plus ? » Mais soudain il se rappela son projet, il eut un vertige, et il serait infailliblement tombé, s’il ne s’était retenu à la palissade. Il quitta aussitôt, à pas chancelants, son nouvel ami, sans même prendre congé de lui, et, rentrant dans sa chambre, il s’étendit sur le canapé et s’endormit profondément.

XXX
    La lueur du premier incendie du 2 septembre fut aperçue de plusieurs côtés à la fois, et produisit des effets tout différents sur les habitants qui s’enfuyaient et sur les troupes forcées de se replier. À cause des nombreux objets qu’ils avaient oubliés et qu’ils envoyaient successivement chercher, à cause aussi de l’encombrement de la route, les Rostow n’avaient pu quitter Moscou que dans l’après-midi ; ils furent donc obligés de coucher à cinq verstes de la ville. Le lendemain, réveillés assez tard dans la matinée et rencontrant à tout moment de nouveaux obstacles sur leur chemin, ils n’arrivèrent qu’à dix heures du soir au village de Bolchaïa-Mytichtchi, où la famille et les blessés s’établirent dans les isbas des paysans. Une fois leur service fait, les domestiques, les cochers, les brosseurs des officiers blessés, soupèrent, donnèrent à manger aux chevaux, et se réunirent dans la rue. Dans une de ces isbas se trouvait l’aide de camp de Raïevsky ; comme il avait le poignet brisé, et qu’il éprouvait d’intolérables souffrances, ses gémissements résonnaient d’une façon lugubre dans les ténèbres de cette nuit d’automne. La comtesse Rostow, qui avait été sa voisine à la couchée précédente, n’avait pu fermer l’œil : aussi avait-elle choisi cette fois une autre isba, pour être plus loin du malheureux blessé. L’un des domestiques remarqua tout à coup une seconde lueur à l’horizon ; ils avaient déjà aperçu la première et l’avaient attribuée aux cosaques de Mamonow, qui, d’après eux, auraient mis le feu au village de Malaïa-Mytichtchi.
    « Regardez donc, camarades, voilà un autre incendie, » dit-il.
    Tous se retournèrent.
    « Mais oui… On dit que ce sont les cosaques de Mamonow qui ont mis le feu.
    – Pas du tout, ce n’est pas ce village, c’est plus loin, on dirait que c’est à Moscou. »
    Deux des domestiques firent le tour de la voiture qui leur masquait l’horizon, et s’assirent sur le marchepied.
    « C’est plus à gauche… vois-tu la flamme qui se balance ?… Ça, mes amis, c’est à Moscou que ça brûle ! »
    Personne ne releva l’observation, et ils continuèrent à regarder ce nouveau foyer, qui s’étendait de plus en plus. Daniel, le vieux valet de chambre du comte, s’approcha du groupe et appela Michka.
    « Que regardes-tu, mauvaise tête ?… Le comte appellera et il n’y aura personne… Va vite ranger ses habits.
    – Mais je suis venu chercher de l’eau.
    – Qu’en pensez-vous, Daniel Térentitch, n’est-ce pas à Moscou ? »
    Daniel Térentitch ne répondit rien, et chacun continua à se taire ; la flamme ondulait avec une nouvelle force et gagnait de proche en proche.
    « Que le bon Dieu ait pitié de nous !… Le vent, la sécheresse… dit une voix.
    – Ah ! Seigneur ! vois donc comme ça augmente !… On aperçoit même les corbeaux. Que le Seigneur ait pitié de nous, pauvres pécheurs !
    – N’aie pas peur, on l’éteindra.
    – Qui donc l’éteindra ? demanda tout à coup Daniel Térentitch d’une voix grave et solennelle : oui, c’est bien Moscou qui brûle, mes amis, c’est elle, notre mère aux murailles blanches. »
    Un sanglot brisa sa voix, et alors, comme si on n’attendait que cette triste certitude pour comprendre la terrible signification de cette lueur qui rougissait l’horizon, des prières et des soupirs éclatèrent de toutes parts.

XXXI
    Le vieux valet de chambre alla prévenir le comte que Moscou brûlait ; celui-ci passa sa robe de chambre, et alla s’assurer du fait, en compagnie de Sonia et de

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