La jeune fille à la perle
empêché Tanneke de
découvrir mes activités au grenier.
« J’estime qu’il vaudrait
mieux montrer ça à notre jeune maîtresse, déclara-t-elle.
— Non », répliquai-je
prestement. Tanneke se redressa autant qu’elle le pouvait avec un bébé endormi
sur ses genoux. « Retire ton tablier, afin que notre jeune maîtresse le
voie.
— Tanneke, dis-je, en la
regardant calmement, croyez-moi, mieux vaudrait pour vous ne pas importuner
Catharina avec cela, vous en parlerez à Maria Thins, quand elle sera seule, pas
devant les filles. »
Ces paroles, dites sur un ton
de brimade, nuirent gravement à notre relation. Je n’avais pas l’intention de
lui parler sur ce ton, je voulais juste l’empêcher à tout prix de raconter cet
incident à Catharina. Elle ne devait jamais me pardonner de l’avoir traitée en
subalterne.
Mes paroles ne restèrent
cependant pas sans effet. Tanneke darda sur moi un regard dur, mécontent,
derrière lequel on percevait cependant certaine hésitation et le désir évident
de mettre au courant sa chère maîtresse. Elle était tiraillée entre ce désir et
l’envie de punir mon impudence en me désobéissant. « Parlez-en à votre
maîtresse, repris-je avec douceur. Mais ne lui parlez que lorsqu’elle sera
seule. »
J’avais beau tourner le dos à
la porte, je sentis Cornelia s’échapper par celle-ci.
L’intuition de Tanneke
l’emporta.
Le visage impassible, elle me
tendit Johannes et alla trouver Maria Thins. Avant de poser le petit garçon sur
mes genoux, j’effaçai avec soin la traînée rouge à l’aide d’un chiffon que je
jetai ensuite au feu. Il resta malgré tout une tache. Je demeurai assise,
tenant l’enfant dans mes bras, attendant que mon sort se décide. Jamais je
n’eus vent de ce que Maria Thins avait pu dire à Tanneke, quelles menaces ou
promesses elle lui avait faites pour l’empêcher de parler, mais cela réussit et
Tanneke ne souffla mot de mon travail au grenier ni à Catharina ni aux filles
et elle ne m’en reparla point. Elle devint cependant beaucoup plus dure à mon
égard, s’acharnant à me tourmenter. Ainsi me renvoyait-elle chez le poissonnier
avec la morue que je savais pertinemment qu’elle m’avait demandée, jurant ses
grands dieux qu’elle m’avait dit d’acheter du carrelet. À la cuisine, elle
devenait plus négligente, renversant sur son tablier autant d’huile qu’elle le
pouvait afin de me contraindre à faire tremper le tissu plus longtemps et à le
frotter de toutes mes forces pour en retirer les taches de graisse. Elle me
laissait des seaux à vider et n’allait plus chercher l’eau pour remplir la
citerne de la cuisine ou laver le sol. Assise, elle m’observait d’un oeil torve,
refusant de bouger, me contraignant à passer la serpillière autour de ses
pieds, quitte à découvrir, après coup, qu’un pied avait dissimulé une flaque
d’huile toute poisseuse.
Elle ne me parlait plus avec gentillesse.
Elle me donnait l’impression que j’étais seule dans une maison pourtant pleine.
Aussi n’osais-je plus
subtiliser à la cuisine ces petites gâteries qu’affectionnait mon père. Je ne
pouvais dire à mes parents combien la vie était dure à l’Oude Langendijck,
combien il me fallait être vigilante si je voulais garder ma place, pas plus
que je ne pouvais leur parler de ses rares avantages, des couleurs que je
préparais, de ces nuits passées seule assise dans l’atelier, de ces moments où
lui et moi travaillions à côté l’un de l’autre et où sa présence me réchauffait
le coeur.
Tout ce dont je pouvais leur
parler, c’était de ses tableaux.
*
Un matin d’avril, quand le
froid avait fini par s’éloigner, je longeai le marché aux grains en me rendant
chez l’apothicaire, quand Pieter fils surgit et me salua. Il portait un tablier
propre et un gros paquet qu’il devait livrer, m’expliqua-t-il, un peu plus
loin. Il allait dans la même direction que moi, aussi me demanda-t-il si nous
pouvions cheminer ensemble. J’acquiesçai d’un signe de tête, il me semblait
difficile de lui refuser. Au cours de l’hiver, je l’avais aperçu une ou deux
fois par semaine au marché à la viande. Je trouvais toujours embarrassant de
croiser son regard, ses yeux me piquaient la peau, telles des aiguilles. Son
attention m’inquiétait.
« Vous semblez fatiguée,
commença-t-il. Vous avez les yeux rouges. On vous donne trop de travail. »
Bien sûr qu’on me donnait
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