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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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table, en face de lui, un verre de vin à la
main.
    La seule chose que je n’aimais
pas au sujet du grenier, c’était d’y être enfermée la nuit.
    Catharina avait repris la clef
à Maria Thins et elle s’était mise à fermer et ouvrir la porte. Sans doute
voyait-elle là une façon de me contrôler.
    Elle n’était pas heureuse que
je sois dans le grenier, cela voulait dire que j’étais plus proche de lui, plus
proche de cet endroit auquel elle-même n’avait pas accès, mais où je pouvais,
moi, me déplacer à mon gré.
    Cela avait dû être dur pour une
épouse d’accepter pareil arrangement.
    Pendant un temps, toutefois,
tout se passa bien, je parvenais à m’échapper l’après-midi afin de laver et
broyer ses couleurs. À l’époque, Catharina faisait souvent la sieste, car
Franciscus la réveillait presque chaque nuit. En général, Tanneke s’endormait,
elle aussi, près du feu et je pouvais quitter la cuisine sans avoir à inventer
une excuse. De leur côté, les filles étaient occupées avec Johannes, à qui
elles apprenaient à marcher et à parler, aussi ne s’apercevaient-elles que
rarement de mon absence. Si elles la remarquaient, Maria Thins leur expliquait
qu’elle m’avait envoyée en course ou chercher quelque objet dans ses
appartements, ou que je cousais pour elle et qu’il me fallait la bonne lumière
du grenier pour y voir clair. Elles étaient encore enfants, après tout,
absorbées par leur univers, indifférentes aux vies des adultes autour d’elles,
sauf si cela les affectait directement.
    C’est, du moins, ce que je
croyais.
    Un après-midi où je lavais de
la céruse, Cornelia m’appela, je me hâtai de m’essuyer les mains, retirai le
tablier que je portais pour travailler au grenier et remis mon tablier de tous
les jours avant de descendre l’échelle. Elle se tenait sur le seuil de
l’atelier, comme si elle était devant une mare et avait envie d’y mettre le
pied.
    « Que veux-tu ?
dis-je d’un ton plutôt sec.
    — Tanneke veut vous
voir. » Cornelia se retourna et me précéda jusqu’à l’escalier. Arrivée en
haut des marches, elle hésita : « Vous voudrez bien m’aider,
Griet ? supplia-t-elle. Passez la première, comme ça, si je tombe, vous me
rattraperez. Cet escalier est si raide ! » Cela ne lui ressemblait
pas d’avoir peur, même dans les escaliers qu’elle montait rarement. Émue, ou me
reprochant peut-être de m’être montrée dure à son égard, je descendis puis me
tournai vers elle les bras tendus.
    « À votre tour. »
    Cornelia se tenait en haut des
marches, les mains dans les poches. Elle commença à descendre une main sur la
rampe, l’autre formant un poing serré. Parvenue presque au bas des marches,
elle lâcha prise et sauta, glissant de tout son long contre moi, pressant
douloureusement contre mon ventre. Sitôt sur ses pieds, elle se mit à rire,
relevant la tête, ses yeux bruns réduits à de simples fentes.
    « Sale fille »,
marmonnai je, regrettant mon élan de tendresse.
    Je trouvai Tanneke dans la
cuisine, elle tenait Johannes sur ses genoux.
    « Cornelia m’a dit que
vous me demandiez.
    — Oui, elle a déchiré un
de ses cols et veut que ce soit vous qui le lui raccommodiez. Elle refuse que
j’y touche. Je ne comprends pas pourquoi, elle sait pourtant que je n’ai pas ma
pareille pour raccommoder les cols. » Tandis que Tanneke me tendait le
col, son regard se posa sur mon tablier.
    « Qu’est-ce que c’est que
ça ? Vous saignez ? »
    Je regardai. Une balafre de
poussière rouge rayait mon ventre telle une traînée sur une vitre. Cela me
rappela les tabliers des Pieter, père et fils.
    Tanneke se pencha pour
l’examiner. « C’est pas du sang, ça. On dirait plutôt de la poudre.
Comment se fait-il que ça soit là ? »
    Je contemplai la traînée. De la
garance, pensai-je. J’en ai broyé il y a quelques semaines.
    J’entendis un rire étouffé dans
le couloir.
    Cornelia avait guetté depuis
quelque temps le moment propice à ce méchant tour. Elle s’était même
débrouillée pour grimper au grenier afin d’y subtiliser la garance.
    Je n’eus pas la repartie assez
rapide. Mon hésitation parut suspecte à Tanneke. « As-tu fouiné dans les
affaires de Monsieur ? » me demanda-t-elle sur un ton de reproche.
Lui ayant servi de modèle, elle savait ce qu’il avait dans son atelier.
    « Non, c’était… »
Dénoncer Cornelia eût été mesquin et cela n’eût pas

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