La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
C’était comme si le malheur d’autrui était leur seul divertissement. Décidemment, non, non et non, il ne les aimait pas.
Son mutisme fut interprété comme une capitulation et détendit l’atmosphère : les femmes en profitèrent pour se lever et regrouper leur progéniture. Klara réveilla sa petite sœur Johanna et suivit ses parents à regret.
Elle traversait la cour obscure lorsqu’elle sentit quelque chose de tiède couler le long de sa cuisse droite. Elle toucha, renifla ses doigts et s’effraya à l’odeur de sang.
– Mutti , Mutti , je saigne.
Son front était brûlant, pareil à la truffe d’un chiot malade.
– Ce n’est rien, n’aie pas peur, c’est normal, la rassura sa mère après qu’elle l’eut examinée à la lueur de la lampe à pétrole. Ça va passer… mais ça reviendra tous les mois.
***
Aloïs ne se formalisa pas lorsque tonton Nepomuk, prétextant que toutes les chambres de la ferme étaient occupées, l’installa dans la buanderie, lui aménageant un lit sommaire en retournant une table et en jetant une paillasse dessus.
Seul, Aloïs alluma sa huitième pipe de la journée, puff, puff, puff, contrarié à la vue de son sabre brisé ; il allait devoir remplacer la lame à ses frais.
Lorsque la cloche de l’église sonna onze fois, il prit la lampe à pétrole et sortit en passant par la salle commune qui débordait de vieux souvenirs, tel ce moellon qui saillait du mur près de la cheminée et sur lequel il avait affûté les couteaux.
Il traversa la cour, poussa le battant et entra dans la grange, plus ému qu’il ne voulait l’admettre à la vue du recoin où, huit années durant, il s’était endormi sur sa paillasse, la miniature de Zwettl sous sa veste roulée en oreiller, rêvant à son père et à l’existence qu’il mènerait lorsque celui-ci viendrait le chercher. Aujourd’hui, Nepomuk y entreposait son charbon de bois.
Posant la lampe au sol il retrouva les gestes d’autrefois pour escalader les bottes de foin. Il se hissa jusqu’à la poutre latérale et se déplaça prudemment dessus afin d’atteindre la panne faîtière où, vingt et un ans auparavant, il avait gravé avec son alène de cordonnier : ALOÏS TRICOTIN.
En équilibre à six mètres du sol, les dents serrées par l’effort exigé par son inconfortable position, harcelé par une pensée non désirée (n’oublie pas que l’épée de Damoclès est suspendue à un crin de cheval), il mit autant d’acharnement à effacer l’inscription qu’il lui en avait fallu pour la graver, la veille de sa fuite, le premier jour du mois de juin 1850.
Revenu dans la buanderie, il récupéra son sabre brisé, son sac de voyage, son képi vert frappé de l’aigle bicéphale, et, sans un mot d’explication, sans même éteindre la lampe à pétrole, il s’en alla dans la nuit, comme il l’avait fait vingt et un ans plus tôt.
2
« La forme actuelle du nom de Hitler n’est apparue que très tard et elle est le résultat d’un véritable salmigondis de formes voisines. Il existe beaucoup de Hitler juifs, ce qui a incité certains chercheurs à attribuer au Führer une origine juive. C’est une erreur. »
Konrad Heiden, La Jeunesse de Hitler
Aloïs disposait seulement de trois souvenirs concernant le docteur Carolus Tricotin, son père.
Le premier datait du jour de ses quatre ans, le 7 juin 1841. Il revoyait vaguement un grand moustachu chapeauté qui lui avait offert un ours en peluche et une boîte très lourde contenant cinquante soldats de plomb de l’armée impériale et royale. Ce même jour, il les avait conduits à Zwettl où ils avaient posé tous les trois pour le miniaturiste local.
Sa mère lui parlait souvent de Carolus Tricotin, rappelant ses origines franco-piémontaises, exhibant la miniature, décrivant le bel immeuble dans la Berggasse où il vivait (numéro 19), les animaux empaillés de son laboratoire privé (il veut faire le docteur), de la qualité du linge de maison (après avoir été pensionnaire au Paradis perdu, Maria Anna avait été la lingère des Tricotin jusqu’au jour où elle était tombée enceinte).
– Il m’a fait le serment qu’une fois ses études de médecine achevées, il te reconnaîtrait et nous irions vivre avec lui, à Vienne. En attendant, tu ne dois rien dire à personne, tu m’entends, Aloïs, à PERSONNE. Et maintenant jure-le-moi.
Le deuxième souvenir remontait au 7 juin 1842, jour de son cinquième anniversaire.
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