La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
rassemblés autour d’un inconnu plutôt grand, sanglé dans un bel uniforme à boutons dorés. Pour en avoir vu à Weitra, la fillette reconnut la tenue des douaniers impériaux et royaux, nombreux dans cette région frontalière à la Bohême.
– Approche, Klara, viens saluer ton oncle, dit Nepomuk en l’apercevant derrière ses vaches.
Doté d’une impressionnante moustache Kaiser et de non moins impressionnants favoris à la Franz Josef, Aloïs
Schicklgruber prit la pose en se déhanchant, la main sur le pommeau de son sabre. Y aurait-il songé, il se serait lissé la moustache avec son autre main.
– Qui est-ce ?
La voix était grave, bien posée.
– C’est Klara, la fille aînée de Johanna… Tu te souviens quand même de Johanna ? Vous avez gardé les oies ensemble ! Eh bien, elle a épousé Baptist Pölzl et il lui a fait trois filles.
– Elle a de beaux yeux, la coquine, dit Aloïs en embrassant la gamine sur les deux joues, la chatouillant de sa moustache et de ses favoris parfumés au tabac hollandais.
Il y eut des rires tandis que le visage de Klara prenait une couleur crête de coq. Elle allait s’esquiver vers ses bêtes lorsqu’il y eut un étrange silence.
Rampant plus que marchant, recouvert d’une épaisse croûte de boue qui s’était craquelée en séchant, Rolfie avançait, ses grands yeux amicaux fixés sur son maître.
Incrédule, Nepomuk s’approcha de l’animal qui remua faiblement son fouet. Aucun doute, il s’agissait bien de Rolfie.
– Gott im Himmel ! Pourtant il était mort quand je l’ai jeté dans la mare.
Maugréant entre ses dents, il prit la cognée fichée dans un billot de chêne et retourna tuer son vieux chien. Dévié par les longs poils, le taillant d’acier ne trancha que partiellement le cou. Encore raté !
Rolfie jappa comme Klara ne l’avait jamais entendu japper.
Mortifié par sa maladresse (on va penser que je vieillis), Nepomuk allait assener un dernier coup lorsque Aloïs l’écarta d’un impérieux : « Poussez-vous, tonton, laissez-moi faire », abrégeant d’un coup de sabre les souffrances de l’infortuné animal, brisant la lame Solingen sur une grosse pierre sous-jacente.
La fillette courut rejoindre les vaches qui mugissaient devant la porte de l’étable. Tout en les trayant elle s’efforça de deviner ce que pouvait bien être une coquine. Son seau à lait rempli, elle traversa la cour en évitant d’approcher les canards qui s’ébattaient dans les flaques de purin suintant d’un gros tas de fumier. À l’exception de Johanna, sa sœur bossue de trois ans sa cadette, personne ne lui prêta attention lorsqu’elle entra dans la salle commune de la ferme des Pölzl (numéro 34).
Assise sur le sol, sa petite sœur Theresia, trois ans, jouait à rien. Non loin d’elle, les mains blanchies par la farine, sa mère, Johanna Pölzl (née Hiedler), préparait des quenelles au fromage en écoutant son amie Ursula conter combien avait été grande sa surprise en reconnaissant sous l’uniforme de Finanzwachoberaufseher le petit Aloïs Schicklgruber.
– Personne ici n’aurait imaginé qu’il puisse si haut monter !… Quand je pense que tu gardais les oies avec lui. Je suis sûre que tu oseras pas le tutoyer quand tu le verras !
– Il a tellement changé ?
– Ah, ça, ma pauvre Johanna, je te garantis que tu vas pas le reconnaître. Il a des moustaches grandes comme ça et un accent viennois à te donner des frissons.
Klara vit sa mère prendre un air rêveur.
– Il doit avoir près de trente ans… l’âge de se marier, si c’est pas déjà fait.
Ursula eut un rire de gorge.
– En tout cas il n’a pas d’alliance, j’ai bien regardé. Par contre je plains l’élue ! Il a une façon de dévisager les femmes qui en dit long… pour moi c’est un coureur.
Johanna perdit son air pensif.
– De toute façon, s’il veut se marier, c’est pas ici qu’il le fera. Faudrait être bête pour épouser une paysanne quand on a le choix à la ville… Raison de plus s’il s’est fait une bonne situation comme tu dis… Tu es certaine d’avoir vu des galons d’assistant contrôleur ?
Sans perdre un phonème de ce qui se disait, Klara versa une partie du lait mousseux dans la baratte. Se penchant vers sa sœur elle lui souffla :
– Moi aussi je l’ai vu, et y m’a dit que j’avais des beaux yeux… Grand-père Nepomuk m’a dit que c’était notre oncle.
Elle allait lui
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