La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
parler de Rolfie lorsque leur père, Baptist Pölzl, entra en même temps qu’une riche odeur de purin.
Klara le rejoignit près de l’évier et lui versa de l’eau sur les mains pendant qu’il se savonnait avec le savon fabriqué par Johanna (restes de graisse, bouts de lard et peaux de porc mélangés à de la potasse, de la soude caustique et de l’eau claire). À Spital, on achetait seulement ce qu’on ne pouvait fabriquer soi-même.
– Combien de seaux, aujourd’hui ?
– Cinq, papa.
– C’est bien.
Klara rosit de plaisir. Le plus pénible avait été de porter les seaux remplis de pierres jusqu’au muret en construction, à l’autre bout du pré.
– J’ai vu passer Schicklgruber tout à l’heure ! J’ai cru voir un revenant, grogna Baptist en regardant sévèrement son épouse, comme s’il la soupçonnait d’avoir quelque part de responsabilité dans ce retour.
– Je sais, Ursula l’a vu aussi. Paraît qu’il est douanier.
Baptist grimaça en se séchant les mains. N’ayant aucun héritier mâle, la ferme et les terres de Nepomuk Hiedler, son vieux grigou de beau-père, devaient se partager entre ses trois gendres, Josef Rommeder, lui-même, Baptist Pölzl, et Leopold Sailer (veuf depuis 1858). Cette subite réapparition compliquait tout.
– Je suis sûr qu’ils mijotent quelque chose…
Baptist s’assit en bout de table. Comme pour lui donner raison, des brandons crépitèrent sous le fait-tout. Johanna
délaissa les quenelles pour lui servir son premier bock de bière de la journée.
– Vous auriez dû voir comment le curé est venu le saluer, ils se sont même parlé en latin, ajouta Ursula dans l’espoir de relancer le sujet.
Le regard de Baptist la fit battre en retraite.
– Bon, eh bien je m’en retourne, il se fait tard… Moi aussi j’ai une famille à nourrir.
Pour Klara ce fut l’illumination : coquine était un mot latin.
Demain, je demanderai à monsieur le curé ce que ça veut dire, se promit-elle en dressant la table, tandis que sa sœur allait chercher de l’eau au puits.
Josef Rommeder, le mari de Walburga, entra en ôtant son chapeau.
– Je suppose que tu sais qui est de retour. Le vieux nous invite à la veillée.
En épousant Walburga, l’aînée des trois filles de Nepomuk Hiedler, Josef s’était installé chez son beau-père et il lui avait succédé par contrat dans la direction de la ferme.
Baptist lui proposa une bière.
– Je te remercie mais j’ai juste le temps d’enterrer Rolfie avant le dîner. Tu sais comment est le vieux quand on est en retard à table.
– Rolfie est mort ?
Josef lui conta la fin du vieux chien de chasse et, quand il arriva au rôle joué par Aloïs, Baptist grimaça de plus belle.
– Je me rappelle qu’il fallait toujours qu’il fasse l’intéressant. Apparemment il n’a guère changé !
Plus tard, pendant le dîner, Baptist ronchonna en lançant des regards assassins en direction de l’épais mur mitoyen séparant sa ferme de celle de son beau-père.
– Je donnerais cher pour entendre ce qu’ils se disent en ce moment.
***
– Quelle que soit ta réponse, cette conversation restera entre nous, dit Nepomuk en regardant son neveu avaler d’un trait son verre d’alcool de prune.
– Je vous écoute, tonton.
– Ce que j’ai à te dire est très simple : Dieu n’a pas voulu que j’aie de fils. J’ignore pourquoi, mais c’est ainsi. Je n’ai donc personne pour perpétuer mon nom : aussi, en souvenir des années passées à t’élever à la place de ce vaurien de Georg, je voudrais que tu prennes le nom d’Hiedler… qui te revient de droit, d’ailleurs.
Aussi impassible que le banc sur lequel il était assis, Aloïs bourra lentement sa pipe avant de répondre par une autre question.
– Comment allez-vous vous y prendre ?
Nepomuk sortit son oignon du gousset et tripota le remontoir, marquant ainsi son agacement.
– Il suffit de certifier sous serment que mon frère Georg a toujours voulu te reconnaître, mais que les circonstances l’en ont empêché.
Aloïs craqua une allumette contre l’un des seize boutons de cuivre de son uniforme, puis il tira sur sa pipe.
– Je suis flatté, puff, puff, puff, par votre proposition, tonton, mais Georg ne peut pas être mon père puisque ma mère ne le connaissait pas lorsque je suis né.
La surprise se lut sur le visage buriné du vieil homme.
– Mais… qu’est-ce que tu racontes là ? Ce n’est
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