La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
assassiné, dit-elle, par sir John Ramorny, chevalier de Ramorny, ce qu’elle offre de prouver par le témoignage du droit de cercueil ou par le corps d’un homme. En conséquence, moi, Patrice Charteris, chevalier ceint du baudrier, né libre et gentilhomme, je m’offre pour combattre dans sa juste querelle tant qu’homme et cheval pourront se tenir sur pieds, si quelqu’un d’un rang égal au mien ramasse le gant. Dites, Madeleine Proudfute, voulez-vous m’accepter pour votre champion ?
La veuve répondit en faisant un effort sur elle-même : – Je ne puis en désirer un plus noble.
Sir Patrice prit alors sa main droite dans la sienne, et baisant Madeleine sur le front comme le voulait la cérémonie, il dit d’un ton solennel : – Que Dieu et saint Jean me soient en aide à l’heure du besoin ; je ferai mon devoir comme votre champion, en homme, en brave, en chevalier. À présent, Madeleine, choisissez vous-même parmi tous les bourgeois de la Belle Ville, absens ou présens, celui que vous désirez charger de soutenir votre défi, dans le cas où celui contre qui vous portez plainte se trouverait être au-dessous de mon rang.
Tous les yeux se tournèrent sur Henry Smith, que la voix générale avait déjà désigné comme le plus digne sous tous les rapports de servir de champion dans cette circonstance ; mais la veuve n’attendit pas pour prendre sa décision qu’elle eût pu consulter les regards. À peine sir Patrice eut-il fini de parler, que traversant la salle et se dirigeant vers l’endroit où l’armurier était debout, elle le prit par la main et lui dit :
– Henry Gow, ou Smith, bon citoyen et bon artisan, mon…
Mari, était le mot qu’elle voulait prononcer ; mais il ne put sortir de ses lèvres, et elle fut obligée de prendre une autre tournure.
– Celui qui n’est plus vous aimait et vous estimait par-dessus tous les autres hommes ; il est donc juste que ce soit vous qui embrassiez la défense de sa veuve et de ses enfans.
S’il eût été possible, et ce ne pouvait l’être dans ce siècle, qu’Henry songeât à rejeter la mission que tout le monde semblait lui destiner, ou du moins pensât à s’y soustraire, tout désir, tout idée de retraite se serait évanouie du moment que la veuve commença à lui adresser la parole, et un ordre descendu du ciel même n’aurait guère pu faire sur lui une impression plus vive que cet appel de la malheureuse Madeleine. L’allusion qu’elle avait faite à ses liaisons intimes avec le défunt l’avait ému jusqu’au fond de l’âme. Sans doute du vivant d’Olivier il y avait eu quelque chose d’absurde et de ridicule dans cette prédilection excessive qu’il manifestait pour Henry, surtout si l’on considère combien leurs caractères se ressemblaient peu ; mais tout cela était oublié à présent, et Henry s’abandonnant à son ardeur naturelle, se rappelait seulement qu’Olivier avait été son ami, qu’il l’avait aimé et honoré autant qu’il était capable d’aimer et d’honorer quelqu’un, et par-dessus tout, qu’il n’était que trop probable que le défunt avait été victime d’un attentat qui était dirigé contre Henry lui-même.
Ce fut donc avec un empressement que la minute d’auparavant il se serait à peine cru capable de manifester, et qui était alors l’effet d’une volonté forte et invariable, qu’après avoir imprimé ses lèvres sur le front glacé de l’infortunée Madeleine l’armurier répondit :
– Moi, Henry Smith, bon et fidèle citoyen, né libre, j’accepte le titre de champion de cette veuve Madeleine et de ces orphelins, et pour soutenir leur querelle je me battrai à toute outrance contre quelque homme que ce soit de ma condition, et cela tant qu’il me restera un souffle de vie. Ainsi me soit en aide à l’heure du besoin Dieu et le bon saint Jean !
Il se fit dans l’auditoire un mouvement soudain qui prouvait l’intérêt que tous ceux qui étaient présens prenaient à la poursuite de cette affaire et la confiance avec laquelle ils en attendaient le résultat.
Sir Patrice Charteris songea alors à se rendre auprès du roi pour lui demander la permission de procéder à une enquête sur le meurtre d’Olivier Proudfute, conformément à l’usage du droit de cercueil, et s’il était nécessaire, par l’épreuve du combat.
Il remplit ce devoir aussitôt après la séparation du conseil, dans une audience particulière qu’il eut du roi,
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