La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
greffier, contre un adversaire d’un rang égal au sien ; parce que dans l’appel au jugement de Dieu l’accusé doit avoir le choix de l’épreuve pour laquelle il sera jugé. Mais s’il refuse l’une et l’autre il doit être regardé comme coupable et puni comme tel.
Les sages du conseil furent unanimement de l’avis de leur prévôt et de leur greffier, et ils résolurent de présenter dans toutes les formes une pétition au roi pour que l’enquête sur le meurtre de leur concitoyen eût lieu conformément à cet ancien usage adopté pour faire ressortir la vérité, et qui était encore en vigueur, vers la fin du dix-septième siècle ; mais avant que l’assemblée se séparât, le bailli Craigdallie crut à propos de demander quel serait le champion de Maudie ou Madeleine Proudfute et de ses deux enfans.
– Il ne faut pas de longues, réflexions pour cela, dit sir Patrice Charteris ; nous sommes des hommes et nous avons une épée. S’il en était un parmi nous qui ne fût pas prêt à la tirer pour défendre la veuve et les enfans de notre compatriote et pour venger sa mort, il faudrait la lui briser sur la tête. Dans le cas où sir John Ramorny accepterait lui-même le défi, Patrice Charteris de Kinfauns se battra contre lui à outrance, tant que cheval et cavalier resteront sur leurs jambes ou que lame et poignée tiendront ensemble ; mais si le combattant est d’un rang inférieur, eh bien ! que Madeleine Proudfute choisisse elle-même son champion parmi les plus braves citoyens de Perth ; et ce serait une honte et un déshonneur éternel pour la Belle Ville si celui qu’elle désignera était assez lâche pour dire non : qu’on l’amène ici afin qu’elle fasse son choix.
Henry Smith entendit ces paroles avec un triste pressentiment que le choix de la pauvre femme tomberait sur lui, et qu’à peine réconcilié avec sa maîtresse il allait encore une fois se brouiller avec elle en se trouvant engagé dans une nouvelle querelle dont il ne voyait aucun moyen honorable de se tirer, et qui dans toute autre circonstance l’eût comblé de joie en lui offrant une occasion glorieuse de se distinguer sous les yeux de la ville et de la cour. Il savait qu’instruite par les leçons du père Clément, Catherine regardait l’épreuve du combat plutôt comme une insulte à la religion que comme un appel à la Divinité, et qu’il ne lui semblait pas raisonnable que la force du corps ou l’adresse à manier les armes sert à prouver l’innocence ou la culpabilité d’un accusé. Il avait donc beaucoup à craindre des idées particulières qu’elle avait sur ce sujet, et qui étaient plus épurées que celles du siècle où elle vivait.
Pendant qu’il était en proie à ce conflit de sensations contraires, la veuve de la victime entra dans la cour, couverte d’un grand voile noir et soutenue par cinq ou six femmes respectables qui portaient le même emblème de deuil. Une de ses compagnes avait un enfant dans ses bras, dernier gage de l’affection conjugale du pauvre Olivier. Une autre tenait par la main une jolie petite créature, de deux ans ou environ, qui trottait à pas inégaux, et qui regardait avec étonnement et d’un air de crainte, tantôt le voile lugubre dont on l’avait affublée, et tantôt la scène extraordinaire qui se passait autour d’elle.
L’assemblée se leva pour recevoir le triste cortége et les salua avec l’expression de la plus profonde compassion. Madeleine rendit ce salut avec un air de dignité qu’on n’eût pas attendu de la compagne du pauvre Olivier, et qu’elle emprunta peut-être de l’excès même de son malheur. Sir Patrice Charteris s’avança alors au-devant d’elle, et avec la courtoisie d’un chevalier pour une femme et d’un protecteur pour une triste veuve, il prit la main de l’infortunée et lui expliqua en peu de mots la marche que le conseil avait résolu de suivre pour obtenir vengeance du meurtre de son mari.
S’étant assuré avec une douceur et une affabilité qui ne caractérisaient pas ses manières en général que la pauvre veuve comprenait parfaitement ce dont il s’agissait, il dit à haute voix en s’adressant à l’assemblée : – Bons citoyens de Perth, membres nés libres de corps de métiers, faites bien attention à ce qui va se passer ; car ceci intéresse vos droits et vos priviléges. Vous voyez devant vous Madeleine Proudfute qui demande vengeance pour la mort de son mari, méchamment
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