La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
mon auguste maître, dit Albany. Ce n’était pas du prince que j’aurais voulu parler en des termes si inconvenans ; car je prends le ciel à témoin qu’il m’est plus cher, comme le fils d’un frère bien-aimé, que s’il eût été mon propre fils : mais je voulais parler de la nécessité de l’éloigner des folies et des vanités de la vie, que les saints hommes comparent à des membres gangrenés qu’il faut avoir la force de trancher et de jeter loin de nous, comme des obstacles qui nous empêchent d’avancer dans la vertu…
– Je comprends, dit le monarque un peu rassuré. – Tu voudrais que ce Ramorny qu’on regarde comme l’instrument des folies de mon fils, fût exilé de la cour jusqu’à ce que ces malheureuses affaires soient assoupies, et nos sujets disposés à regarder mon fils d’un autre œil et avec plus de confiance ?
– Ce serait sans doute très bien, vu, sire ; mais je pensais qu’il faudrait quelque chose, bien peu de chose de plus ; oui, il faudrait ce me semble que le prince lui-même s’éloignât pour un peu de temps de la cour.
– Comment ; Albany ! que je me sépare de mon enfant, de mon premier-né, de la lumière de mes yeux, et tout extravagant qu’il est, du bien-aimé de mon cœur ! – Oh ! Robin, je ne le puis, je ne le pourrai jamais.
– Sire, ce n’était qu’une simple suggestion. Je sens tout ce qu’un père doit souffrir d’en être réduit à une pareille mesure, car ne suis-je point père aussi ? et il laissa tomber sa tête dans un morne accablement.
– Je n’y survivrai point, Albany. Quand je pense que l’influence que nous avons sur lui, influence qui quoique parfois oubliée dans notre absence est toujours efficace lorsqu’il est avec nous, se trouverait entièrement détruite par votre projet, à quels périls ne serait-il pas exposé ? Je ne saurais fermer l’œil lorsqu’il ne serait plus près de moi ; je croirais que chaque brise m’apporte sont dernier soupir ; et vous, Albany, quoique vous sachiez même le cacher, vous seriez presque aussi inquiet que moi.
Ainsi parla le facile monarque ; cherchant à se concilier son frère et à se tromper lui-même en ne paraissant point redouter qu’il ne régnât entre l’oncle et le neveu une affection dont il n’y avait aucune trace.
– Votre sollicitude paternelle s’alarme aisément, sire, dit Albany. Je ne propose point de laisser au caractère fougueux du jeune prince la libre disposition de ses mouvemens. Je comprends ; que mon neveu soit soumis pendant un court espace de temps à quelque contrainte salutaire, qu’il soit confié aux soins de quelque grave conseiller qui répondra de sa conduite et de ses jours ; et qui veillera sur lui comme un tuteur sur son pupille.
– Comment ! un tuteur ? à l’âge de Rothsay ? s’écria le roi. Il a dépassé de deux ans le terme que nos lois assignent à la minorité.
– Les Romains, plus sages, dit Albany, le prolongeaient de quatre ans plus que nous ; et si l’on consulte la raison, le droit de contrôle doit être exercé jusqu’à ce qu’il ne soit plus nécessaire, de sorte que la durée doit en varier suivant le caractère. Voilà le jeune Lindsay, le comte de Crawford, qui, dit-on, prête son appui à Ramorny pour ce défi. Il n’a que quinze ans, et déjà il a les passions fougueuses et la détermination fixe d’un homme de trente ; tandis que mon auguste neveu, doué de qualités beaucoup plus aimables et beaucoup plus nobles, montre quelquefois à l’âge de vingt-trois ans les bouillans caprices d’un enfant pour lequel un peu de contrainte n’est que bienveillance. – Et ne regrettez pas qu’il en soit ainsi, milord, et ne vous fâchez point contre votre frère s’il vous dit la vérité, puisque les meilleurs fruits sont ceux qui sont les plus lents à mûrir, et les meilleurs chevaux ceux qui donnent le plus de peine aux écuyers qui les dressent pour la lice ou pour les combats.
Le duc s’arrêta, et après avoir laissé pendant deux ou trois minutes le roi Robert se livrer à une rêverie qu’il n’essaya point d’interrompre, il ajouta d’un ton plus enjoué : Mais rassurez-vous, sire ; peut-être cette affaire pourra-t-elle s’arranger sans tant de difficultés et sans de nouveaux combats. La veuve est pauvre, car son mari, quoiqu’il eût beaucoup de pratiques, aimait à s’amuser et dépensait beaucoup d’argent ; il se peut qu’avec de l’argent
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