La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
quelques instans avant de répondre.
– Milord, je vais vous le dire ; Votre Grâce croit que le prince n’est pour rien dans ce second attentat contre les citoyens de Perth, dans le meurtre de ce bonnetier pour lequel ils crient autant qu’une bande de mouettes lorsqu’un de ces oiseaux braillards est abattu par la flèche d’un enfant.
– Leurs vies leur sont chères, à eux et à leurs amis, Robin, dit le roi.
– Oui, oui, milord ; et ils savent aussi nous les rendre chères lorsqu’il nous faut entrer en arrangement avec ces drôles pour la moindre égratignure. Mais comme je disais, Votre Majesté croit que le prince n’a aucune part à ce dernier meurtre. Je ne chercherai pas à ébranler sa conviction sur ce point délicat, mais je m’efforcerai de croire comme elle ; ce qu’elle fait est une règle pour moi. Robin d’Albany n’aura jamais d’autre opinion que Robin d’Écosse.
– Merci, merci, mon frère, dit le roi en lui serrant la main. Je savais que je pouvais compter que votre affection rendrait justice à cet étourdi de Rothsay qui s’expose par sa conduite à tant de fausses interprétations, qu’il mérite à peine les sentimens que vous avez pour lui.
Albany avait un sang-froid et une fermeté si imperturbables qu’il put serrer affectueusement à son tour la main du roi, pendant qu’il cherchait à détruire les espérances du bon et indulgent vieillard.
– Mais, hélas ! ajouta le duc en soupirant, cet ours intraitable le chevalier de Kinfauns, et toute sa bande de bourgeois criards, ne verront pas l’affaire comme nous. Ils ont le front de dire que ce drôle qui est mort avait été maltraité par Rothsay et ses compagnons qui, couraient les rues en habits de masques, arrêtant les hommes et les femmes, les forçant à danser ou à boire une énorme quantité de vin, et mille autres folies qu’il est inutile de raconter ; et ils disent que toute la troupe se dirigea vers la maison de sir John Ramorny, où elle se précipita en désordre pour y compléter ses orgies ; donnant ainsi tout lieu de croire que le renvoi de Sir John du service du prince n’était qu’un stratagème inventé pour tromper le public. Et de là ils concluent que s’il y a eu quelque dessein de nuire cette nuit par sir John Ramorny ou par ses gens, il est fort à croire que le duc de Rothsay en a eu tout au moins, connaissance, s’il ne l’a pas autorisé.
– Albany, c’est affreux, dit le roi. Voudraient-ils faire un assassin de mon enfant ? prétendraient-ils que mon fils a pu tremper ses mains dans le sang écossais, sans provocation, sans motif ? Non, non, ils ne sauraient inventer des calomnies aussi palpables, aussi grossières ; car personne n’y ajouterait foi.
– Pardon, sire, répondit le duc d’Albany ; ils disent que le sujet de la querelle qui occasionna l’émeute de Curfew-Street et les conséquences qu’elle eut concernaient plus le prince que sir John ; puisque personne ne soupçonne, et à plus forte raison, ne croit que cette belle équipée n’eut lieu que pour le plaisir du chevalier de Ramorny.
– Tu me rendras fou, Robin, s’écria le roi.
– Je me tairai, répondit son frère ; je n’ai fait qu’exprimer mon humble avis comme Votre Majesté me l’avait ordonné.
– Tes intentions sont bonnes, je le sais, dit le roi ; mais au lieu de me déchirer le cœur en me montrant des malheurs effroyables, ne serait-il pas mieux à toi, Robin, de m’indiquer quelque moyen de les éviter ?
– Il est vrai, sire ; mais comme la seule chose qui se présente est pénible et difficile, il est nécessaire qu’avant tout Votre Grâce soit bien pénétrée de l’indispensable nécessité d’y avoir recours, avant que je croie devoir vous la décrire. Le chirurgien doit commencer par convaincre son patient qu’il n’a aucun moyen de guérir un membre gangrené avant de se hasarder à conseiller l’amputation, quoique ce soit le seul remède.
Robert à ces paroles manifesta un degré d’alarme et d’indignation dont son frère ne l’avait pas cru susceptible.
– Membre gangrené ! lord d’Albany ? L’amputation ; le seul remède ! Ce sont des paroles que je ne comprends pas, milord. Si tu les appliques à notre fils Rothsay, il faut que tu les justifies de la manière la plus satisfaisante ; autrement tu pourrais te repentir cruellement de les avoir proférées.
– Vous prenez ce que je disais trop au pied de la lettre,
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