La lanterne des morts
l’infini…
Le ciel pâlissait légèrement à l’est.
Bien qu’on ne connût pas sur terre d’homme plus discret, il arriva en faisant grand tapage.
Pierre-François Gréville, se sachant en terrain ami, prenait un réel plaisir à rompre avec ce qui constituait ses habitudes.
Lorsqu’il mit pied à terre, les douze hommes qui l’accompagnaient en firent autant et on aurait pu jurer que treize talons de bottes touchèrent le sol en même temps.
Les douze hommes, vêtus de noir, portaient double cocarde au chapeau: une tricolore et la rouge et violette des troupes de police secrète en campagne.
Prévenu on ne sait comment, les douze autres qui vivaient dans le camp retranché se présentèrent et s’alignèrent impeccablement. Silencieux, ils ne se mêlaient jamais aux marins, pas même pour les repas, faisant leur fricot à part. Eux aussi portaient l’habit noir et les deux cocardes.
– C'est une réunion de jumeaux?… lança la voix moqueuse de Valencey d’Adana.
Gréville se retourna. Le prince était d’une suprême élégance. Veste de général à épaulettes dorées, tricorne de marine à longues plumes bleu-blanc-rouge et cocarde, la taille prise dans une écharpe tricolore, bottes noires rutilantes, sabre au fourreau astiqué…
– Prince!
– Gréville!… Quel bonheur de vous voir ici, vous qui haïssez la campagne.
– Je suis un rat des villes, mon cher. Mais je n’aurais manqué cela pour rien au monde.
– Comment avez-vous appris si vite?
– Je sais tout, vous n’êtes pas sans… le savoir!… ironisa le général de police tandis que dans le camp réveillé, on s’approchait de partout, mais en se tenant à distance.
Valencey d’Adana observa les nouveaux venus:
– Douze et douze vingt-quatre, avec vous vingt-cinq. Formez-vous un régiment de police?
– Ne les sous-estimez pas.
Valencey d’Adana ne put réprimer une légère grimace:
– Jusqu’ici…
– Ils avaient ordre de ne pas bouger. Mais vous verrez… Pouvez-vous me les armer?
Mahé, qui venait d’arriver, plaisanta:
– Ah, nous n’avons plus de lance-pierres.
Gréville hocha la tête en souriant:
– Vous verrez!
Mahé, pensant avoir été un peu loin, tenta de se rattraper:
– Quel genre d’armes veulent-ils?
– Ils les connaissent toutes, ils sont l’élite de la police de la République.
– Curieux de les voir à l’œuvre!… lança O'Shea en serrant la main à Gréville dont le regard d’aigle nota la présence d’une jeune femme – Marie – qui se tenait discrètement en retrait.
Les marins, déjà en uniformes, regardaient la scène avec curiosité.
Enfin, Victoire se présenta à son tour: bottes, jupe, veste d’uniforme, tricorne et, tout de même, ses ravissantes boucles d’oreilles en forme de cerises.
– Princesse!… dit Gréville, cérémonieux.
– Chasseur à cheval Victoire Valencey d’Adana!… corrigea-t-elle.
Valencey d’Adana, un peu emprunté dans le rôle du maître des lieux, suggéra:
– Je propose un verre de champagne, mais un seul.
– Une armée qui se désaltère au champagne ne peut pas être battue, ce serait une faute de goût!… jeta Hyppolite en grande tenue de capitaine des grenadiers de marine.
– Dieu vous entende!… répondit une voix qu’on n’identifia jamais…
1 Jeanne Roland de la Platière (1754-1793). Femme politique, épouse d’un Girondin, tint un salon révolutionnaire. Guillotinée en 1793.
2 Théroigne de Méricourt (1762-1817). Belle égérie du club des Cordeliers, on la voyait sabre au côté et coiffée d’un chapeau à panache noir. Elle devint folle après avoir été fessée publiquement par des femmes sans-culottes de la Halle qui la jugeaient trop modérée…
3 Olympe de Gouges (1748-1793). Femme de lettres et révolutionnaire née à Montauban. Guillotinée en 1793.
57
Cela commençait on ne peut plus mal et Blacfort, superstitieux, sortit son chapelet à têtes de mort. En selle sur un magnifique cheval blanc, il portait sa plus belle tenue de général vendéen.
Dans l’opalescence de l’aube, drapeaux claquant au vent dans le silence, immobile comme une armée romaine, la 123 e demi-brigade attendait, figée, les artilleurs derrière leurs canons, les compagnies impeccablement au carré baïonnettes au canon, la cavalerie sur deux lignes. On remarquait surtout les hauts bonnets à poils des grenadiers et les curieux uniformes gris des Mayas et Bravos. Sur un petit tertre,
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