La lanterne des morts
d’Adana fut promu général de division en 1796. Il servit auprès du général Moreau, le plus populaire des généraux, celui que les officiers et soldats de la République préféraient de loin au sombre Bonaparte.
Il participa à la magnifique victoire d’Hohenlinden et à ce chef-d’œuvre de retraite que réussit Moreau avant que celui-ci, victime d’une machination, ne fût exilé par Bonaparte qui le jalousait.
Ayant quitté l’armée en 1799, Valencey d’Adana utilisa une partie de son immense fortune venue des croisades à construire une grande demeure en bord de mer afin d’y accueillir tous les anciens de la 123 e demi-brigade «Liberté, liberté chérie» et ceux des navires L'Argonaute , La Betelgeuse et bien entendu La Terpsichore . Tous ceux, en tout cas, qui en faisaient la demande. Jusqu’après 1840, on y croisait de vieux soldats et marins heureux d’avoir un toit.
En 1814, Mahé et lui demandèrent et obtinrent un commandement, s’illustrant à Brienne et Arcis-sur-Aube sans pouvoir empêcher l’invasion étrangère.
Ils récidivèrent en 1815, faisant comprendre à Napoléon qu’ils se battaient pour leur pays, pas pour un empereur. Celui-ci avait trop besoin d’hommes de cette trempe pour relever l’affront.
À Waterloo, Valencey d’Adana sabra pendant des heures tel un jeune homme mais fut blessé dans le dos par un lancier autrichien. Mahé le ramena à Paris le lendemain, inanimé et presque mourant, mais les sommités de la médecine, l’oreille tirée par la main de fer de Gréville, parvinrent à le sauver.
Peu rancunier, Louis XVIII voulut en faire un pair de France. Le prince refusa et pareillement les avances de Charles X et Louis-Philippe, demeurant jusqu’au bout républicain.
Mais tout cela n’était pas sa vie, juste de brefs épisodes. Sa vie, ce fut Victoire qui lui donna deux beaux enfants, fille et garçon – Aglaé et Josselin – auxquels il expliqua qu’un tel nom, pour qu’il ne vous écrase pas, il fallait savoir vivre sinon sans, du moins à côté.
Victoire et lui ne se quittaient jamais. Leur bibliothèque était une des plus belles de France car, sachant qu’on est avant tout aristocrate par l’esprit, ils partagèrent la passion des livres. Ce fut un bonheur passionné, tendre, doux et sucré comme une orange avec, certains très rares jours d’orage, un soupçon piquant de petit piment des îles.
Ils parlaient peu du passé même si parfois, sur la terrasse ensoleillée, il se laissait aller, à la demande de Victoire, à évoquer La Terpsichore et ses extraordinaires aventures.
Il mourut à quatre-vingt-un ans, un soir de septembre, lors d’une promenade à cheval. Brusquement, il se tourna vers son grand amour, posant sur elle son intense regard gris-vert, comme pour s’excuser de la quitter. Puis il tomba foudroyé.
Elle le fit ramener au château et coucher sur leur grand lit.
Victoire chassa alors tout le monde, s’allongea à ses côtés, lui prit la main et de l’autre, sans hésiter, se tira une balle dans le cœur: elle ne lui avait pas survécu dix minutes.
Le château des princes d’Adana, racheté par un industriel en 1898, fut rasé et remplacé par une horrible maison bourgeoise, tristement conventionnelle, qui se lézarda assez vite.
En 1927, un banquier fit combler la pièce d’eau, raser la maison et construire un grotesque petit manoir. Il se lézarda lui aussi et menaça ruine.
En 1969, un affairiste construisit à sa place un village de vacances. Cinq ans plus tard, ébranlés sur leurs bases, les pavillons furent abandonnés.
Alors on ne construisit plus, des spécialistes éminents ayant remarqué que tous les cinq à dix ans, par un phénomène local inexplicable, il soufflait là un vent à ébranler un gratte-ciel. On s’étonna fort qu’un château, représenté sur des toiles et gravures anciennes, ait ainsi pu tenir des siècles en pareil endroit.
Lors de fouilles en 1991, on retrouva pourtant les fondations d’un château aux dimensions fort impressionnantes. Totalement inexplicable, et inexpliqué, on remarqua la présence d’un sable rouge inconnu en Europe de l’Ouest qui liait les énormes blocs comme soudés les uns aux autres. L'énigme n’est toujours pas résolue à ce jour.
Peut-être, pour y parvenir, faudrait-il chercher la réponse du côté de la chevalerie et de ses secrets, des lointaines et mystérieuses croisades et de l’Adana des temps anciens.
Mais cela, qui le
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