La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
et
flambeaux et coururent ainsi partout.
Il n’y eut parmi eux ni querelle ni débat ; nul d’entre eux
ne fut blessé en cette grande rupture de pierres, de bois et
d’autres matériaux.
Ils se présentèrent à La Haye pour y procéder à l’enlèvement des
statues et des autels, sans que là ni ailleurs les réformés leur
prêtassent secours.
À La Haye, le magistrat leur demanda où était leur
commission.
– Elle est là, dit l’un d’eux en frappant sur son cœur.
– Leur commission, entendez-vous,
signorkes
et
pagaders
? dit Ulenspiegel, ayant appris le fait. Il
est donc quelqu’un qui leur mande de besogner comme sacrilèges.
Vienne en ma chaumière quelque larron pillard : je ferai comme
le magistrat de La Haye, je dirai, ôtant mon couvre-chef :
« Gentil larron, gracieux vaurien, vénérable bélître,
montre-moi ta commission. » Il me dira qu’elle est dans son
cœur avide de mon bien. Et je lui donnerai les clefs de tout.
Cherchez, cherchez à qui profite ce pillage. Méfiez-vous du Chien
rouge ; le crime est commis, on le va châtier. Méfiez-vous du
Chien rouge. Le grand crucifix de pierre est abattu. Méfiez-vous du
Chien rouge.
Le Grand Conseil souverain de Malines ayant mandé, par l’organe
de son président Viglius, de ne mettre aucun empêchement au
brisement des images :
– Las ! dit Ulenspiegel, la moisson est mûre pour les
faucheurs espagnols. Le duc ! le duc marche sur nous.
Flamands, la mer monte, la mer de vengeance. Pauvres femmes et
filles, fuyez la fosse ! Pauvres hommes, fuyez la potence, le
feu et le glaive ! Philippe veut achever l’œuvre sanglante de
Charles. Le père sema la mort et l’exil ; le fils a juré qu’il
aimerait mieux régner sur un cimetière que sur un peuple
d’hérétiques. Fuyez, voici le bourreau et les fossoyeurs.
Le populaire écoutait Ulenspiegel, et les familles par centaines
quittaient les cités, et les routes étaient encombrées de chariots
chargés des meubles de ceux qui partaient pour l’exil.
Et Ulenspiegel allait partout, suivi de Lamme dolent et
cherchant ses amours.
Et à Damme, Nele pleurait auprès de Katheline l’affolée.
XVI
Ulenspiegel étant à Gand au mois de l’orge, qui est octobre, vit
d’Egmont revenant de nocer et festoyer en la noble compagnie de
l’abbé de Saint-Bavon. D’humeur chantante, il faisait rêvassant
aller au pas son cheval. Soudain, il avisa un homme qui, tenant une
lanterne allumée, marchant à côté de lui.
– Que me veux-tu ? demanda d’Egmont.
– Du bien, répliqua Ulenspiegel, bien de lanterne quand elle est
allumée.
– Va-t-en et me laisse, répondit le comte.
– Je ne m’en irai pas, repartit Ulenspiegel.
– Tu veux donc recevoir un coup de fouet ?
– J’en veux recevoir dix, si je puis vous mettre dans la tête
une telle lanterne que voyiez clair d’ici à l’Escurial.
– Il ne me chault de ta lanterne ni de l’Escurial, répondit le
comte.
– Eh bien, moi, répondit Ulenspiegel, il me brûle de vous donner
un bon avis.
Puis, prenant par la bride le cheval du comte, ruant et se
cabrant :
– Monseigneur, dit-il, songez que maintenant vous dansez bien
sur votre cheval et que votre tête danse aussi très bien sur vos
épaules ; mais le roi veut, dit-on, interrompre cette belle
danse, vous laisser votre corps, mais prendre votre tête et la
faire danser en des pays si lointains que vous ne la pourrez jamais
rattraper. Donnez-moi un florin, je l’ai gagné.
– Du fouet, si tu ne te retires, méchant donneur d’avis.
– Monseigneur, je suis Ulenspiegel, fils de Claes, brûlé vif
pour la foi, et de Soetkin morte de douleur. Les cendres battant
sur ma poitrine me disent que d’Egmont, le brave soldat, peut avec
la gendarmerie qu’il commande, opposer au duc d’Albe ses troupes
trois fois victorieuses.
– Va-t-en, répondit d’Egmont, je ne suis point traître.
– Sauve les pays, seul tu le peux, dit Ulenspiegel.
Le comte voulut fouetter Ulenspiegel ; mais celui-ci ne
l’avait pas attendu et s’enfuyait en criant :
– Mangez des lanternes, mangez des lanternes, messire comte.
Sauvez les pays.
Un autre jour, d’Egmont ayant soif s’était arrêté devant
l’auberge de
In ‘t bondt verkin
– Au cochon bigarré, –
tenu par une femme de Courtrai, mignonne commère, nommée
Musekin
, la Petite Souris.
Le comte, se dressant sur ses étriers, cria :
– À boire !
Ulenspiegel, qui servait la Musekin, vint
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