La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
buvez.
Et le jambon de crépiter dans la poêle et les boudins
pareillement, et le vin de trotter et les verres de s’emplir. Et
Lamme de boire comme le sable sec et de manger bien.
Garçons et filles de ferme venaient tour à tour pousser le nez à
la porte entrebâillée pour le contempler besognant des mâchoires.
Et les hommes jaloux de lui, disaient qu’ils sauraient faire comme
lui.
À la fin du repas, Thomas Utenhove dit :
– Cent paysans partiront-d’ici cette semaine sous prétexte
d’aller travailler aux digues à Bruges et aux environs. Ils
voyageront par troupes de cinq à six et par différents chemins. Il
y aura des barques à Bruges pour les transporter à Emden par la
mer.
– Seront-ils pourvus d’armes et d’argent ? demanda
Ulenspiegel.
– Ils auront chacun dix florins et de grands coutelas.
– Dieu et le prince te récompenseront, dit Ulenspiegel.
– Je ne besogne point pour la récompense, répondit Thomas
Utenhove.
– Comment faites-vous, dit Lamme en croquant de gros boudins
noirs, comment faites-vous, monsieur l’hôte, pour obtenir un mets
si parfumé, si succulent et de si fine graisse ?
– C’est, dit l’hôte, que nous y mettons de la cannelle et de
l’herbe aux chats.
Puis parlant à Ulenspiegel
– Edzard, comte de Frise, est-il toujours l’ami du
prince ?
Ulenspiegel répondit :
– Il s’en cache, tout en donnant à Emden asile à ses
navires.
Et il ajouta :
– Nous devons aller à Maestricht.
– Tu ne le pourras point, dit l’hôte ; l’armée du duc est
devant la ville et aux alentours.
Puis, le conduisant au grenier, il lui montra au loin les
enseignes et guidons des cavaliers et piétons, chevauchant et
marchant dans la campagne.
Ulenspiegel dit :
– Je passerai au travers si vous, qui êtes puissant en ce lieu,
me baillez permission de me marier. Quant à la femme, il me la faut
mignonne, douce et belle, et voulant m’épouser, sinon pour
toujours, au moins pour une semaine.
Lamme soupirait et disait :
– Ne le fais point, mon fils, elle te laisserait seul, brûlant
au feu d’amour. Ton lit, où tu dors si coîment, te sera comme
matelas de houx, t’enlevant le doux sommeil.
– Je prendrai femme, répondit Ulenspiegel.
Et Lamme, ne trouvant plus rien sur la table, fut bien marri.
Toutefois, ayant découvert des castrelins dans une écuelle, il les
croqua mélancoliquement.
Ulenspiegel disait à Thomas Utenhove :
– Or ça, à boire ça, baillez-moi une femme riche ou pauvre. Je
vais avec elle à l’église et fais bénir le mariage par le curé.
Celui-ci nous donne le certificat d’épousailles, non valable
puisqu’il est d’un papiste inquisiteur ; nous y faisons
stipuler que nous sommes tous bons chrétiens, ayant confessé et
communié, vivant apostoliquement suivant les préceptes de notre
sainte mère Eglise romaine, qui brûle ses enfants, et appelant
ainsi sur nous les bénédictions de notre saint-père le Pape, des
armées céleste et terrestre, des saints, des saintes, des doyens,
curés, moines, soudards, happe-chair et autres bélîtres. Munis
dudit certificat, nous faisons les préparatifs du voyage accoutumé
du festoiement de noces.
– Mais la femme ? dit Thomas Utenhove.
– Tu me la trouveras, répondit Ulenspiegel. Je prends donc deux
chariots, je les fleuris de cercles garnis de branches de sapin, de
houx et de fleurs de papier, je les remplis de quelques bonshommes
que tu veux envoyer au prince.
– Mais la femme ? dit Thomas Utenhove.
– Elle est ici sans doute, répondit Ulenspiegel.
Et poursuivant son propos :
– J’attelle deux de tes chevaux à l’un des chariots, nos deux
ânes à l’autre. Je mets dans le premier chariot ma femme et moi,
mon ami Lamme, les témoins de mariage, dans le second des joueurs
de tambourin, de fifre et de scalmeye. Puis portant les joyeuses
bannières d’épousailles, tambourinant, chantant, buvant, nous
passons au grand trot de nos chevaux par le grand chemin qui nous
conduit au
Galgen-Veld
, Champ de potences, ou à la
liberté.
– Je te veux aider, dit Thomas Utenhove. Mais les femmes et
filles voudront suivre leurs hommes.
– Nous irons à la grâce de Dieu, dit une mignonne fillette
poussant la tête à la porte entrebâillée.
– Il y aura, si besoin est, quatre chariots, dit Thomas
Utenhove ; ainsi nous ferons passer plus de vingt-cinq
hommes.
– Le duc sera fait quinaud, dit Ulenspiegel.
– Et la flotte du prince, servie par
Weitere Kostenlose Bücher