La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
qui
coquetait dans son jardin.
– Viande à corbeaux ! dit Lamme, c’était donc une
vengeance ?
– Toute petite, répondit Ulenspiegel.
XXI
À Damme, Nele l’affligée, vivait solitaire près de Katheline
appelant d’amour le diable froid qui ne venait point.
– Ah ! disait-elle, tu es riche, Hanske, mon mignon, et me
pourrais rapporter les sept cents carolus. Alors Soetkin vivante
reviendrait des limbes sur la terre, et Claes rirait dans le
ciel ; bien tu le peux faire. Ôtez le feu, l’âme veut sortir,
faites un trou, l’âme veut sortir. Et elle montrait sans cesse du
doigt la place où avaient été les étoupes.
Katheline était bien pauvre, mais les voisins l’aidaient de
fèves, de pain et de viande selon leurs moyens. La commune lui
donnait quelque argent. Et Nele cousait des robes pour les riches
bourgeoises, allait chez elles repasser le linge, et gagnait ainsi
un florin par semaine.
Et Katheline disait toujours :
– Faites un trou, ôtez mon âme. Elle frappe pour sortir. Il
rendra les sept cents carolus.
Et Nele pleurait l’écoutant.
XXII
Cependant Ulenspiegel et Lamme, munis de leurs passes, entrèrent
dans une petite auberge adossée aux rochers de la Sambre, lesquels
sont couverts d’arbres en certains endroits. Et sur l’enseigne il
était écrit :
Chez Marlaire
.
Ayant bu maint flacon de vin de Meuse à la façon de Bourgogne et
mangé force poissons à l’escavêche, ils devisaient avec l’hôte
papiste, de haute futaie, mais bavard comme pie, à cause du vin
qu’il avait bu, et sans cesse clignant de l’œil malicieusement.
Ulenspiegel, devinant sous ce clignement quelque mystère, le fit
boire davantage, si bien que l’hôte commença à danser et à
s’éclater de rire, puis, se remettant à table :
– Bons catholiques, disait-il, je bois à vous.
– À toi nous buvons, répondirent Lamme et Ulenspiegel.
– À l’extinction de toute peste de rébellion et d’hérésie.
– Nous buvons, répondirent Lamme et Ulenspiegel, qui sans cesse
remplissaient le gobelet que l’hôte ne savait jamais voir
plein.
– Vous êtes bonshommes, disait-il, je bois à Vos Générosités, je
gagne sur le vin bu. Où sont vos passes ?
– Les voici, répondit Ulenspiegel.
– Signées du duc, dit l’hôte. Je bois au duc.
– Au duc nous buvons, répondirent Lamme et Ulenspiegel.
L’hôte poursuivant ses propos.
– En quoi prend-on les rats, souris et mulots ? En
ratières, mulottières, souricières. Qui est le mulot ? C’est
le grand hérétique orange comme le feu de l’enfer. Dieu est avec
nous. Ils vont venir. He ! he ! À boire !
Verse ; je cuis, je brûle. À boire ! Trois beaux petits
prédicants réformés… Je dis petits… beaux petits vaillants, forts
soudards, des chênes… À boire ! N’irez-vous pas avec eux au
camp du grand hérétique ? j’ai des passes signées de lui… Vous
verrez leur besogne.
– Nous irons au camp, répondit Ulenspiegel.
– Ils s’y feront bien, et la nuit, si l’occasion se présente (et
l’hôte fit en sifflant le geste d’un homme en égorgeant un autre),
Vent-d’Acier empêchera le merle Nassau de siffler d’avantage. Or
ça, à boire, ça !
– Tu es gai, nonobstant que tu sois marié, répondit
Ulenspiegel.
L’hôte dit :
– Je ne le suis ni le fus. Je tiens les secrets des princes. À
boire. – Ma femme me les volerait sur l’oreiller, pour me faire
pendre et être veuve plus tôt que Nature ne le veut. Vive
Dieu ! ils vont venir… Où sont les passes nouvelles ? Sur
mon cœur chrétien. Buvons ! Ils sont là, là, a trois cents pas
sur le chemin, près de Marche-les-Dames. Les voyez-vous ?
Buvons !
– Bois, lui dit Ulenspiegel, bois ; je bois au roi, au duc,
aux prédicants, à Vent-d’Acier : je bois à toi, à moi ;
je bois au vin et à la bouteille. Tu ne bois point. Et à chaque
santé, Ulenspiegel lui remplissait son verre et l’hôte le
vidait.
Ulenspiegel le considéra quelque temps ; puis se
levant :
– Il dort, dit-il, venons-nous-en, Lamme.
Quand ils furent dehors :
– Il n’a point de femme pour nous trahir. La nuit va tomber. Tu
as bien entendu ce que disait ce vaurien, et tu sais ce que sont
les trois prédicants ?
– Oui, dit Lamme.
– Tu sais qu’ils viennent de Marche-les-Dames en longeant la
Meuse, et qu’il fera bon de les attendre sur le chemin avant que ne
souffle le Vent-d’Acier.
– Oui, dit Lamme.
– Il faut
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