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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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savoir si la glace peut ou non porter une grande troupe
d’hommes. Et ils la feront essayer par des hommes doctes, lesquels
coucheront sur parchemin leurs conclusions. Les ayant reçues, ils
sauront que la glace a une demi-aune d’épaisseur, qu’elle est
solide assez pour porter quelques cents hommes avec canons et
artillerie des champs. Puis s’assemblant derechef pour délibérer
avec calme, patience et maintes chopines de vin cuit, ils
calculeront si, à cause du trésor pris par nous sur ceux de
Lisbonne, il convient d’assaillir ou brûler nos vaisseaux. Et ainsi
perplexes, mais temporiseurs, ils décideront cependant qu’il faut
prendre et non brûler nos navires, nonobstant le grand tort qu’ils
nous feraient ainsi.
    – Tu parles bien, répondit Ulenspiegel ; mais ne vois-tu
ces feux s’allumer dans la ville et des gens porte-lanternes y
courir.
    – C’est qu’ils ont froid, dit Lamme.
    Et soupirant, il ajouta :
    – Tout est mangé. Plus de bœuf, porc ni volailles plus de vin,
hélas ! ni de bonne
dobbel-bier
, rien que du biscuit
et petite bière. Qui m’aime me suive.
    – Où vas-tu ? demanda Ulenspiegel. Nul ne peut sortir du
navire.
    – Mon fils, dit Lamme, tu es capitaine et maître présentement.
Je ne sortirai point que tu ne le veuilles. Daigne songer toutefois
qu’avant-hier nous mangeâmes le dernier saucisson et qu’en ce rude
temps, feu de cuisine est soleil des bons compagnons. Qui ne
voudrait flairer ici le fumet des sauces ; humer le bouquet
parfumé du divin piot fait des fleurs joyeuses qui sont gaieté,
rires et bon vouloir pour un chacun ? Or, çà, capitaine et ami
fidèle, je l’ose dire : je me ronge l’âme, ne mangeant point,
moi qui n’aimant que le repos, ne tuant point volontiers, sinon une
oie tendre, un poulet gras, une dinde succulente, te suis en
fatigues et batailles. Regarde d’ici les lumières dans cette ferme
riche et bien garnie de gros et menu bétail. Sais-tu qui
l’habite ? C’est le batelier de Frise, qui trahit messire
Dandelot et mena à Enckhuyse encore Albisane, dix-huit pauvres
seigneurs et amis, lesquels furent de son fait détranchés sur le
marché aux chevaux à Bruxelles : c’est le Petit Sablon. Ce
traître, qui a nom Slosse, reçut du duc deux mille florins pour sa
trahison. Du prix du sang, vrai Judas, il acheta la ferme que tu
vois là, et son gros bétail et les champs d’alentour, lesquels
fructifiant et croissant, je dis terre et bétail, le font riche
maintenant.
    Ulenspiegel répondit :
    – Les cendres battent sur mon cœur. Tu sonnes l’heure de
Dieu.
    – Et pareillement, dit Lamme, l’heure de nourriture. Donne-moi
vingt gars, vaillants soudards et matelots, j’irai quérir le
traître.
    – Je veux être leur chef, dit Ulenspiegel. Qui aime justice me
suive. Non point tous, chers et féaux ; il en faut vingt
seulement, sinon qui garderait le navire ? Tirez au sort des
dés. Vous êtes vingt, venez. Les dés parlent bien. Chaussez vos
patins et glissez vers l’étoile Venus brillant au-dessus de la
ferme du traître.
    « Vous guidant à la claire lumière, venez, les vingt,
patinant et glissant, la hache sur l’épaule.
    « Le vent siffle et chasse devant lui sur la glace de
blancs tourbillons de neige. Venez, braves hommes !
    « Vous ne chantez, ni ne parlez ; vous allez tout
droitement, silencieux, vers l’étoile ; vos patins font crier
la glace.
    « Celui qui tombe se relève aussitôt. Nous touchons au
rivage : pas une forme humaine sur la neige blanche, pas un
oiseau dans l’air glacé. Déchaussez les patins.
    « Nous voici sur terre, voici les prairies, chaussez
derechef vos patins. Nous sommes autour de la ferme, retenant notre
souffle ».
    Ulenspiegel frappe à la porte, des chiens aboient. Il frappe
derechef ; une fenêtre s’ouvre, et le
baes
dit, y
poussant la tête :
    – Qui es-tu ?
    Il ne voit qu’Ulenspiegel ; les autres sont cachés derrière
le
keet
, qui est la laverie.
    Ulenspiegel répond :
    – Messire de Boussu te mande de te rendre sur l’heure à
Amsterdam auprès de lui.
    – Où est ton sauf-conduit ? dit l’homme descendant et lui
ouvrant la porte.
    – Ici, répondit Ulenspiegel, en lui montrant les vingt Gueux qui
se précipitèrent derrière lui dans l’ouverture.
    Ulenspiegel alors lui dit :
    – Tu es Slosse, le traître batelier qui fit tomber en une
embuscade les messires Dandelot, de Battembourg et autres
seigneurs. Où est le prix du

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