La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
prévôt,
le héraut et les juges.
Les trompettes du héraut de la ville sonnèrent trois fois, et
celui-ci se tournant vers le peuple dit :
– Le magistrat de Damme, ayant eu pitié de la femme Katheline,
n’a point voulu bailler punition suivant l’extrême rigueur de la
loi de la ville, mais afin de témoigner qu’elle est sorcière, ses
cheveux seront brûlés, elle payera vingt carolus d’or d’amende, et
sera bannie pour trois ans du territoire de Damme, sous peine d’un
membre.
Et le peuple applaudit à cette rude douceur.
Le bourreau attacha alors Katheline au poteau, posa sur sa tête
rasée une chevelure d’étoupes et y mit le feu. Et les étoupes
brûlèrent longtemps et Katheline cria et pleura.
Puis elle fut détachée et menée hors du territoire de Damme sur
un chariot, car elle avait les pieds brûlés.
XXXIX
Ulenspiegel étant alors à Bois-le-Duc en Brabant, Messieurs de
la ville le voulurent nommer leur fou, mais il refusa cette dignité
disant : « Pèlerin pèlerinant ne peut follier de séjour,
seulement par auberges et chemins. »
En ce même temps, Philippe, qui était roi d’Angleterre, vint
visiter ses futurs pays d’héritage, Flandres, Brabant, Hainaut,
Hollande et Zélande. Il était alors en sa vingt-neuvième
année ; en ses yeux grisâtres habitaient aigre mélancolie,
dissimulation farouche et cruelle résolution. Froid était son
visage, roide sa tête couverte de fauves cheveux roides aussi son
torse maigre et ses jambes grêles. Lent était son parler et pâteux
comme s’il eût eu de la laine dans la bouche.
Il visita, au milieu des tournois, joutes et fêtes, le joyeux
duché de Brabant, le riche comté de Flandres et ses autres
seigneuries. Partout il jura de garder les privilèges ; mais
lorsqu’à Bruxelles il fit serment sur l’Evangile d’observer la
Bulle d’or de Brabant, sa main se contracta si fort qu’il dut la
retirer du saint livre.
Il se rendit à Anvers, où l’on fit pour le recevoir vingt-trois
arcs de triomphe. La ville dépensa deux cent quatre-vingt-sept
mille florins pour payer ces arcs et aussi pour le costume de
dix-huit cent septante-neuf marchands, tous vêtus de velours
cramoisi, et pour la riche livrée de quatre cent seize laquais et
les brillants accoutrements de soie de quatre mille bourgeois, tous
vêtus de même. Maintes fêtes furent données par les rhétoriciens de
toutes les villes du Pays-Bas, ou peu s’en faut.
Là furent vus, avec leurs fous et folles, le Prince d’Amour, de
Tournai, monté sur une truie qui avait nom Astarté ; le Roi
des Sots, de Lille, qui menait un cheval par la queue et marchait
derrière ; le Prince de Plaisance, de Valenciennes, qui se
plaisait à compter les pets de son âne ; l’Abbé de Liesse,
d’Arras, qui buvait du vin de Bruxelles dans un flacon en forme de
bréviaire et c’était joyeuse lecture ; l’Abbé des
Paux-Pourvus, d’Ath, qui n’était pourvu que d’un linge troué et de
bottines avachies ; mais il avait un saucisson dont il se
pourvoyait bien la bedaine ; le Prévôt des Etourdis, jeune
garçon monté sur une chèvre peureuse, et qui trottant dans la
foule, recevait à cause d’elle maints horions ; l’Abbé du Plat
d’Argent, du Quesnoy, qui, monté sur son cheval, faisait mine de
s’asseoir dans un plat, disant « qu’il n’est si grosse bête
que le feu ne puisse cuire ».
Et ils firent toutes sortes d’innocentes folies, mais le roi
demeura triste et sévère. Le soir même, le markgrave d’Anvers, les
bourgmestres, capitaines et doyens, s’assemblèrent afin de trouver
quelque jeu qui pût faire rire le roi Philippe.
Le markgrave dit :
– N’avez point oui parler d’un certain Pierkin Jabcobsen, fou de
ville de Bois-le-Duc, et bien renommé pour ses
joyeusetés ?
– Oui, firent-ils.
– Et bien ! dit le markgrave, mandons-le céans, et qu’il
fasse quelque agile tour, puisque notre fou a du plomb dans les
bottines.
– Mandons-le céans ! firent-ils.
Quand le messager d’Anvers vint à Bois-le-Duc, on lui dit que le
fou Pierkin avait fait sa crevaille à force de rire, mais qu’il
était en la ville un autre fou de passage, nommé Ulenspiegel. Le
messager le chercha en une taverne où il mangeait une fricassée de
moules et faisait à une fillette une cotte avec les coquilles.
Ulenspiegel fut ravi, sachant que c’était pour lui que venait
d’Anvers le courrier de la commune, monté sur un beau cheval
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