La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
répondit Ulenspiegel.
Le boulanger répondit :
– Ane bâté, c’était en un tamis qu’il le fallait faire.
– J’ai cru que la lune était un tamis de nouvelle invention,
répondit Ulenspiegel. Mais la perte ne sera pas grande, je vais
ramasser la farine.
– Il est trop tard, répondit le
Kwaebakker
, pour
préparer la pâte et la faire cuire.
Ulenspiegel repartit :
–
Baes
, la pâte du voisin est prête dans le
moulin : veux-je l’aller prendre ?
– Va à la potence, répondit le
Kwaebakker
, et cherche
ce qui s’y trouve.
– J’y vais,
baes
, répondit Ulenspiegel.
Il courut au champ de potence, y trouva une main de voleur
desséchée, la porta au
Kwaebakker
et dit :
– Voici une main de gloire qui rend invisibles tous ceux qui la
portent. Veux-tu dorénavant cacher ton mauvais caractère ?
– Je vais te signaler à la commune, répondit le
Kwaebakker
et tu verras que tu as enfreint le droit du
seigneur.
Quand ils se trouvèrent à deux devant le bourgmestre, le
Kwaebakker
, voulant défiler le chapelet des méfaits
d’Ulenspiegel, vit, qu’il ouvrait les yeux tout grands. Il en
devint si colère qu’interrompant sa déposition, il lui
dit :
– Que te faut-il ?
Ulenspiegel répondit :
– Tu m’as dit que tu m’accuserais de telle façon que je verrais.
Je cherche à voir, et c’est pourquoi je regarde.
– Sors de mes yeux, s’écria le boulanger.
– Si j’étais dans tes yeux, répondit Ulenspiegel, je ne
pourrais, lorsque tu les fermes, sortir que par tes narines.
Le bourgmestre, voyant que c’était ce jour-là la foire aux
billevesées, ne voulut plus les écouter davantage. Ulenspiegel et
le
Kwaebakker
sortirent ensemble, le
Kwaebakker
leva son bâton sur lui ; Ulenspiegel l’évitant lui
dit :
–
Baes
, puisque c’est avec des coups que l’on blute ma
farine, prends-en le son : c’est ta colère ; j’en garde
la fleur : c’est ma gaieté.
Puis lui montrant son faux visage :
– Et ceci, ajouta-t-il, c’est la gueule du four, si tu veux
cuire.
XLII
Ulenspiegel pèlerinant se fût fait volontiers voleur de grands
chemins, mais il en trouva les pierres trop lourdes au
transport.
Il marchait au hasard sur la route d’Audenaerde, où se trouvait
alors une garnison de
reiters
flamands chargés de défendre
la ville contre les partis français qui ravageaient le pays comme
des sauterelles.
Les
reiters
avaient à leur tête un certain capitaine,
Frison de naissance, nommé Kornjuin. Eux aussi couraient le plat
pays et pillaient le populaire, qui était ainsi, comme de coutume,
mangé des deux côtés.
Tout leur était bon, poules, poulets, canards, pigeons, veaux et
porcs. Un jour qu’ils revenaient chargés de butin, Kornjuin et ses
lieutenants aperçurent, au pied d’un arbre, Ulenspiegel dormant et
rêvant de fricassées.
– Que fais-tu pour vivre ? demanda Kornjuin.
– Je meurs de faim, répondit Ulenspiegel.
– Quel est ton métier ?
– Pèleriner pour mes péchés, voir besogner les autres, danser
sur la corde, pourtraire les visages mignons, sculpter des manches
de couteau, pincer du
rommel-pot
et sonner de la
trompette.
Si Ulenspiegel parlait si hardiment de trompette, c’est parce
qu’il avait appris que la place de veilleur du château d’Audenaerde
était devenue vacante par suite de la mort d’un vieil homme qui
occupait cet emploi.
Kornjuin lui dit :
– Tu seras trompette de la ville.
Ulenspiegel le suivit et fut placé sur la plus haute tour des
remparts, en une logette bien éventée des quatre vents, sauf de
celui du midi qui n’y soufflait que d’une aile.
Il lui fut recommandé de sonner de la trompette sitôt qu’il
verrait les ennemis venir et, pour ce, de se tenir la tête libre et
d’avoir toujours les yeux clairs : à ces fins, on ne lui
donnerait pas trop à manger ni à boire.
Le capitaine et ses soudards demeuraient dans la tour et y
festoyaient toute la journée aux frais du plat pays. Il fut tué et
mangé là plus d’un chapon dont la graisse était le seul crime.
Ulenspiegel, toujours oublié et devant se contenter de son maigre
potage, ne se réjouissait point à l’odeur des sauces. Les Français
vinrent et enlevèrent beaucoup de bétail ; Ulenspiegel ne
sonna point de la trompette.
Kornjuin monta près de lui et lui dit :
– Pourquoi n’as-tu pas sonné ?
Ulenspiegel lui dit :
– Je ne vous rends point grâce de votre manger.
Le lendemain, le capitaine
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