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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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la belle monnaie, elle
s’en était allée vers le pays de ruine au cliquetis des pintes et
aux sonneries des bouteilles.

XL
     
    Tandis que sur la gouttière il s’était montré vêtu de soie
cramoisie, Ulenspiegel n’avait pas vu Nele, qui, dans la foule, le
regardait souriante. Elle demeurait en ce moment à Borgerhout près
d’Anvers, et pensa que si quelque fou devait voler devant le roi
Philippe, ce ne pouvait être que son ami Ulenspiegel.
    Comme il cheminait rêvassant sur la route, il n’entendit point
un bruit de pas pressés derrière lui, mais sentit bien deux mains
qui s’appliquaient sur ses yeux platement. Flairant Nele :
    – Tu es là ? dit-il.
    – Oui, dit-elle, je cours derrière toi depuis que tu es sorti de
la ville. Viens avec moi.
    – Mais, dit-il, où est Katheline ?
    – Tu ne sais pas, dit-elle, qu’elle fut torturée comme sorcière
injustement, puis bannie de Damme pour trois ans, et qu’on lui
brûla les pieds et des étoupes sur la tête. Je te dis ceci afin que
tu n’aies pas peur d’elle, car elle est affolée à cause de la
grande souffrance. Souvent elle passe d’entières heures regardant
ses pieds et disant : « Hanske, mon diable doux, vois ce
qu’ils ont fait à ta mère. » Et ses pauvres pieds sont comme
deux plaies. Puis elle pleure disant : « Les autres
femmes ont un mari ou un amoureux, moi je vis en ce monde comme une
veuve. » Je lui dis alors que son ami Hanske la prendra en
haine si elle parle de lui devant d’autres que moi. Et elle m’obéit
comme une enfant, sauf quand elle voit une vache ou un bœuf, cause
de sa torture ; alors elle s’enfuit toute courante, sans que
rien ne l’arrête, barrières, ruisseaux ni rigoles, jusqu’à ce
qu’elle tombe de fatigue à l’angle d’un chemin ou contre le mur
d’une ferme, ou je vais la ramasser et lui panser les pieds qui
alors saignent. Et je crois qu’en brûlant le paquet d’étoupes, on
lui a aussi brûlé le cerveau dans la tête.
    Et tous deux furent marris songeant à Katheline.
    Ils vinrent près d’elle et la virent assise sur un banc au
soleil, contre le mur de sa maison. Ulenspiegel lui dit :
    – Me reconnais-tu ?
    – Quatre fois trois, dit-elle, c’est le nombre sacré, et le
treizième, c’est Thereb. Qui es-tu, enfant de ce méchant
monde ?
    – Je suis, répondit-il, Ulenspiegel, fils de Soetkin et de
Claes.
    Elle hocha la tête et le reconnut ; puis l’appelant du
doigt et se penchant à son oreille :
    – Si tu vois celui dont les baisers sont comme neige, dis-lui
qu’il revienne, Ulenspiegel.
    Puis montrant ses cheveux brûlés :
    – J’ai mal, dit-elle ; ils m’ont pris mon esprit, mais
quand il viendra, il me remplira la tête, qui est toute vide
maintenant. Entends-tu ? elle sonne comme une cloche ;
c’est mon âme qui frappe à la porte pour partir parce qu’il brûle.
Si Hanske vient et ne veut pas me remplir la tête, je lui dirai d’y
faire un trou avec un couteau : l’âme qui est là, frappant
toujours pour sortir, me navre cruellement, et je mourrai, oui. Et
je ne dors plus jamais, et je l’attends toujours, et il faut qu’il
me remplisse la tête, oui.
    Et s’affaissant, elle gémit.
    Et les paysans qui revenaient des champs pour aller dîner,
tandis que la cloche les y appelait de l’église, passaient devant
Katheline en disant :
    – Voici la folle.
    Et ils se signaient.
    Et Nele et Ulenspiegel pleuraient, et Ulenspiegel dut continuer
son pèlerinage.

XLI
     
    En ce temps-là pèlerinant il entra au service d’un certain
Josse, surnommé le
Kwaebakker
, le boulanger fâché, a cause
de son aigre trogne. Le
Kwaebakker
lui donna pour
nourriture trois pains rassis par semaine, et pour logis une
soupente sous le toit, où il pleuvait et ventait à merveille.
    Se voyant si mal traité, Ulenspiegel lui joua différents tours
et entre autres celui-ci : Quand on cuit de grand matin, il
faut la nuit, bluter la farine. Une nuit donc que la lune brillait,
Ulenspiegel demanda une chandelle pour y voir et reçut de son
maître cette réponse :
    – Blute la farine au clair de lune.
    Ulenspiegel obéissant bluta la farine par terre, là où brillait
la lune.
    Au matin, le
Kwaebakker
allant voir quelle besogne
avait faite Ulenspiegel, le trouva blutant encore et lui
dit :
    – La farine ne coûte-t-elle plus rien qu’on la blute à présent
par terre ?
    – J’ai bluté la farine au clair de lune comme vous me l’aviez
ordonné,

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