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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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ne me puis enfuir sur mes pieds
brisés.
    – Donnez son fils à la veuve, dit le bailli.
    Puis les juges délibérèrent.
    Le bourreau détacha Ulenspiegel, et le mit nu et tout couvert de
sang sur les genoux de Soetkin, tandis que le chirurgien lui
remettait les os en leurs charnières.
    Cependant Soetkin embrassait Ulenspiegel et pleurant
disait :
    – Fils, pauvre martyr ! Si messieurs les juges le veulent,
je te guérirai, moi ; mais éveille-toi, Thyl, mon fils !
Messieurs les juges, si vous me l’avez tué, j’irai à Sa
Majesté ; car vous avez agi contre tout droit et justice, et
vous verrez ce que peut une pauvre femme contre les méchants. Mais,
messieurs, laissez-nous libres ensemble. Nous n’avons que nous deux
au monde, pauvres gens sur qui la main de Dieu tombe lourde.
    Ayant délibéré, les juges rendirent la sentence suivante :
« Pour ce que vous, Soetkin, femme veuve de Claes, et vous,
Thyl, fils de Claes, surnommé Ulenspiegel, ayant été accusés
d’avoir frustré le bien qui, par confiscation, appartenait à Sa
Royale Majesté, nonobstant tous privilèges à ce contraires, n’avez
malgré torture cruelle et épreuves suffisantes, rien
avoué. »
    « Le tribunal, considérant le manque d’indices suffisants,
et en vous, femme, le pitoyable état de vos membres, et en vous
homme, la rude torture que vous avez soufferte, vous déclare
libres, et vous permet de vous fixer chez celui ou celle de la
ville à qui conviendra de vous loger, nonobstant votre
pauvreté. »
    « Ainsi fait à Damme, le vingt-troisième jour d’octobre,
l’an de Notre-Seigneur 1558. »
    – Grâces vous soient rendues, messieurs les juges, dit
Soetkin.
    – Le poissonnier ! gémissait Ulenspiegel.
    Et la mère et le fils furent menés chez Katheline dans un
chariot.

LXXIX
     
    En cette année, qui fut la cinquante-huitième du siècle,
Katheline entra chez Soetkin, et dit :
    « Cette nuit, m’étant ointe de baume, je fus transportée
sur la tour de Notre-Dame, et je vis les esprits élémentaires
transmettant les prières des hommes aux anges, lesquels, s’envolant
vers les hauts cieux, les portaient au trône. Et le ciel était tout
parsemé d’étoiles radiantes. Soudain s’éleva d’un bûcher une forme
qui me parut noire et monta se placer près de moi sur la tour. Je
reconnus Claes tel qu’il était en vie, vêtu de ses habits de
charbonnier. – Que fais-tu, me dit-il, sur la tour de
Notre-Dame ? – Mais toi, répondis-je, où vas-tu, volant dans
les airs comme un oiseau ? – Je vais, dit-il, au
jugement ; n’entends-tu point le « clairon de
l’ange » ? » Je me trouvais tout près de lui et
sentis que son corps d’esprit n’était pas dur comme le corps des
vivants ; mais si subtil qu’en avançant contre lui, j’y
entrais comme dans une vapeur chaude. À mes pieds, par tout le pays
de Flandre, brillaient quelques lumières, et je me dis :
« Ceux qui se lèvent tôt et travaillent tard sont les bénis de
Dieu. »
    « Et toujours j’entendais dans la nuit le clairon de
l’ange. Et je vis alors une autre ombre qui montait, venant
d’Espagne ; celle-là était vieille et décrépite, avait le
menton en pantoufle et de la confiture de coing aux lèvres. Elle
portait sur le dos un manteau de velours cramoisi doublé d’hermine,
sur la tête une couronne impériale, dans l’une de ses mains un
anchois qu’elle grignotait et dans l’autre un hanap plein de
bière. »
    Elle vint, par fatigue sans doute, s’asseoir sur la tour de
Notre-Dame. M’agenouillant, je lui dis : « Majesté
couronnée, je vous vénère, mais je ne vous connais point. D’où
venez-vous et que faites-vous au monde ? – Je viens, dit-elle,
de Saint-Juste en Estramadoure, et je fus l’empereur Charles-Quint.
– Mais, dis-je, où allez-vous présentement par cette froide nuit, à
travers ces nuages chargés de grêle ? – Je vais, dit-elle, au
jugement. » Comme l’empereur voulait achever de manger son
anchois, et de boire sa bière en son hanap, sonna le clairon de
l’ange ; et il s’éleva dans l’air en grommelant d’être ainsi
interrompu dans son repas. Je suivis Sa Sainte Majesté. Elle allait
par les espaces hoquetant de fatigue, soufflant d’asthme, et
vomissant parfois, car la mort l’avait frappée en état
d’indigestion. Nous montâmes sans cesse, comme des flèches chassées
par un arc de cornouiller. Les étoiles glissaient à côté de nous,
traçant des

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