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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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souffle, il faut qu’il endure tour à tour ces morts,
ces tortures, afin qu’il apprenne ce que peut faire de mal un homme
injuste commandant à des millions d’autres : qu’il pourrisse
dans les prisons, meure sur les échafauds, gémisse en exil, loin de
la patrie ; qu’il soit honni, vilipendé, fouetté ; qu’il
soit riche et que le fisc le ronge ; que la délation l’accuse,
que la confiscation le ruine. Tu en feras un âne, afin qu’il soit
doux, maltraité et mal nourri ; un pauvre, pour qu’il demande
l’aumône et soit reçu avec des injures ; un ouvrier, afin
qu’il travaille trop et ne mange pas assez ; puis, quand il
aura bien souffert dans son corps et dans son âme d’homme, tu en
feras un chien, afin qu’il soit bon et reçoive les coups, un
esclave aux Indes, afin qu’on le vende aux enchères ; un
soldat, afin qu’il se batte pour un autre et se fasse tuer sans
savoir pourquoi. Et quand, au bout de trois cents ans, il aura
ainsi épuisé toutes les souffrances, toutes les misères, tu en
feras un homme libre, et si en cet état il est bon comme fut Claes,
tu donneras à son corps, dans un coin de terre ombreux à midi,
visité du soleil le matin, sous un bel arbre, couvert d’un frais
gazon, le repos éternel. Et ses amis viendront sur sa tombe verser
leurs larmes amères et semer les violettes, fleurs du souvenir.
    « – Grâce, mon fils, dit Marie, il ne sut ce qu’il faisait,
car puissance fait le cœur dur.
    « – Il n’est point de grâce, dit Christ.
    « – Ah ! dit la Sainte Majesté, si j’avais seulement
un verre de vin d’Andalousie !
    « – Viens, dit Satan ; il est passé le temps du vin,
des viandes et des volailles.
    « Et il emporta au plus profond des enfers l’âme du pauvre
empereur, qui grignotait encore son morceau d’anchois.
    « Satan le laissa faire par pitié. Puis je vis madame la
Vierge qui mena Claes au plus haut du ciel, là où il n’y avait que
des étoiles serrées par grappes à la voûte. Et là, des anges le
lavèrent et il devint beau et jeune. Puis ils lui donnèrent à
manger de la
rystpap
dans des cuillers d’argent. Et le
ciel se ferma. »
    – Il est en gloire, dit la veuve.
    – Les cendres battent sur mon cœur, dit Ulenspiegel.

LXXX
     
    Pendant les vingt-trois jours suivants, Katheline devint
blanche, maigre et sécha comme si elle fût dévorée d’un feu
intérieur plus rongeant que celui de la folie.
    Elle ne disait plus : « Le feu ! Creusez un
trou ; l’âme veut sortir » ; mais ravie en extase
toujours et parlant à Nele :
    – Epouse je suis ; épouse tu dois être. Beau ; grands
cheveux ; chaud amour ; froids genoux et bras
froids !
    Et Soetkin la regardait tristement, croyant à une folie
nouvelle.
    Katheline poursuivant son propos :
    – Trois fois trois font neuf, chiffre sacré. Celui qui a dans la
nuit des yeux brillants comme yeux de chat voit seul le
mystère.
    Un soir Soetkin l’entendant fit un geste de doute. Mais
Katheline :
    – Quatre et trois, dit-elle, malheur sous Saturne ; sous
Vénus, nombre de mariage. Bras froids ! Froids genoux !
Cœur de feu !
    Soetkin repartit :
    – Il ne faut point parler des méchantes idoles païennes.
    Ce qu’entendant Katheline, elle fit le signe de la croix et
dit :
    – Béni soit le cavalier gris. Faut à Nele, mari, beau mari
portant l’épée, noir mari à la face brillante.
    – Oui, disait Ulenspiegel, fricassée de maris dont je ferai la
sauce avec mon couteau.
    Nele regarda son ami avec des yeux de plaisir tout humides de le
voir si jaloux :
    – Je n’en veux point, dit-elle.
    Katheline répondit :
    – Quand viendra celui qui est vêtu de gris, toujours botté et
éperonné d’autre sorte.
    Soetkin disait :
    – Priez Dieu pour l’affolée.
    – Ulenspiegel, dit Katheline, va nous quérir quatre litres de
dobbel-kuyt
pendant que je vais préparer les
heete-koeken
 ; ce sont des crêpes au pays de
France.
    Soetkin demanda pourquoi elle fêtait le samedi comme les
juifs.
    Katheline répondit :
    – Parce que la pâte est prête.
    Ulenspiegel se tenait debout ayant à la main le grand pot
d’étain d’Angleterre qui contenait juste la mesure.
    – Mère, que faut-il faire ? demanda-t-il.
    – Va, dit Katheline.
    Soetkin ne voulait plus répondre, n’étant point maîtresse dans
la maison ; elle dit à Ulenspiegel :
    – Va, mon fils.
    Ulenspiegel courut jusqu’au
Scaeck
, d’où il rapporta
les quatre litres

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