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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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mains si lestes à la caresse, tu ne leur
eusses jamais permis de toucher poêlon ni coquasse. Le feu de la
cuisine eût noirci son teint clair comme le jour. Et quels
yeux ! Je fondais en tendresse rien qu’à les regarder. – Hume
un trait de vin, je boirai après toi. Ah ! que n’est-elle
morte ! Thyl, je gardais chez nous pour moi toute besogne,
afin de lui épargner le moindre travail ; je balayais la
maison, je faisais le lit nuptial où elle s’étendait le soir lassée
d’aise, je lavais la vaisselle et aussi le linge que je repassais
moi-même. – Mange, Thyl, il est de Gand, ce saucisson. – ­Souvent,
étant allée à la promenade, elle venait dîner trop tard, mais
c’était pour moi une si grande joie de la voir que je ne l’osais
gronder, bien heureux quand, boudeuse, la nuit, elle ne me tournait
point le dos. J’ai tout perdu. – Bois de ce vin, il est du clos de
Bruxelles, à la façon de Bourgogne.
    – Pourquoi s’en est-elle allée ? demanda Ulenspiegel.
    – Le sais-je, moi ? reprit Lamme Goedzak. Où est ce temps
où allant chez elle, dans le dessein de l’épouser, elle me fuyait
par peur et par amour ? Si elle avait les bras nus, beaux bras
ronds et blancs, et qu’elle voyait que je les regardais, elle
faisait tout soudain tomber dessus ses manches. D’autres fois, elle
se prêtait à mes caresses et je pouvais baiser ses beaux yeux
qu’elle fermait et sa nuque large et ferme ; alors elle
frémissait ; jetait de petits cris et, penchant la tête en
arrière, m’en donnait un coup sur le nez. Et elle riait quand je
disais : « Aïe ! » et je la battais
amoureusement et ce n’était entre nous que jeux et que ris. – Thyl,
reste-t-il encore du vin dans le flacon ?
    – Oui, répondit Ulenspiegel.
    Lamme but et continuant son propos :
    – D’autres fois, plus amoureuse, elle me jetait les deux bras
autour du cou et me disait : « Tu es beau ! »
Et elle me baisait folliante et cent fois de suite, la joue ou le
front, mais la bouche jamais, et quand je lui demandais d’où lui
venait cette si grande réserve, dans cette si large liberté, elle
allait toute courante prendre un hanap posé sur un bahut, une
poupée d’enfant habillée de soie et de perles et disait, la
secouant et la berçant : « Je ne veux pas de ça. »
Sans doute que sa mère pour lui garder sa vertu, lui avait dit que
les enfants se font par la bouche. Ah ! doux moments !
tendres caresses ! – Thyl, vois si tu ne trouves point de
jambonneau en la poche de ce carnier ?
    – Un demi, répondit Ulenspiegel en le donnant à Lamme qui le
mangea tout entier.
    Ulenspiegel le regardant faire dit :
    – Ce jambonneau me fait grand bien à l’estomac.
    – À moi pareillement, dit Lamme en se curant les dents avec les
ongles. Mais je ne la reverrai plus, ma mignonne, elle s’est enfuie
de Damme ! veux-tu la chercher avec moi dans mon
chariot ?
    – Je le veux, répondit Ulenspiegel.
    – Mais, dit Lamme, n’y a-t-il plus rien dans le
flacon ?
    – Rien, répondit Ulenspiegel.
    Et ils montèrent dans le chariot, conduits par le roussin, qui
sonna mélancoliquement le braire du départ.
    Quant au chien, il était parti, bien repu, sans rien dire.

II
     
    Comme le chariot roulait sur une digue entre un étang et un
canal, Ulenspiegel, tout songeur, caressait sur sa poitrine les
cendres de Claes. Il se demandait si la vision était mensonge ou
vérité, si ces esprits s’étaient gaussés de lui ou s’ils lui
avaient énigmatiquement dit ce qu’il lui fallait vraiment trouver
pour rendre heureuse la terre des pères.
    En vain se tarabustant l’entendement, il ne pouvait trouver ce
que signifiaient les Sept et la Ceinture.
    Songeant à l’empereur mort, au roi vivant, à la gouvernante, au
pape de Rome, au grand inquisiteur, au général des jésuites, il
trouvait là six grands bourreaux de pays qu’il eût voulu brûler
tout vifs incontinent. Mais il pensa que ce n’était point eux, car
ils étaient trop aisés à brûler : ainsi devaient-ils être en
un autre lieu.
    Et il répétait toujours en son esprit :
    Quand le septentrion
    Baisera le couchant
    Ce sera fin de ruines.
    Aime les Sept
    Et la Ceinture.
    – Las ! se disait-il, en mort, sang et larmes, trouver
sept, brûler sept, aimer sept ! Mon pauvre esprit se morfond,
car qui donc brûle ses amours ?
    Le chariot ayant déjà mangé bien du chemin, ils entendirent un
bruit de pas sur le sable et une voix qui

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