La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
esprits
disaient :
– Gloire aux hommelets et aux femmelettes, qu’ils dansent comme
nous !
Les filles-fleurs, voulant séparer Nele d’Ulenspiegel, la
frappaient et l’eussent tuée, si le roi Printemps, d’un geste
arrêtant la danse, n’eût crié :
– Qu’on amène devant moi ces deux poux !
Et ils furent séparés l’un de l’autre ; et chaque
fille-fleur disait en essayant d’arracher Ulenspiegel à ses
rivales :
– Thyl, ne voudrais-tu mourir pour moi ?
– Je le ferai tantôt, répondit Ulenspiegel.
Et les nains esprits des bois qui portaient Nele
disaient :
– Que n’es-tu âme comme nous, que nous te puissions
prendre !
Nele répondait :
– Ayez patience.
Ils arrivèrent ainsi devant le trône du roi ; et ils
tremblèrent fort en voyant sa hache d’or et sa couronne de fer.
Et il leur dit :
– Qu’êtes-vous venus faire ici, chétifs ?
Ils ne répondirent point.
– Je te connais, bourgeon de sorcière, ajouta le roi, et toi
aussi, rejeton de charbonnier ; mais en étant venus à force de
sortilèges à pénétrer en ce laboratoire de nature, pourquoi
avez-vous maintenant le bec clos comme chapons empiffrés de
mie ?
Nele tremblait en regardant le diable terrible ; mais
Ulenspiegel, reprenant sa virile assurance, répondit :
– Les cendres de Claes battent sur mon cœur. Altesse divine, la
mort va fauchant par la terre de Flandre, au nom du Pape, les plus
forts hommes, les femmes les plus mignonnes ; ses privilèges
sont brisés, ses chartes anéanties, la famine la ronge, ses
tisserands et drapiers l’abandonnent pour aller chez l’étranger
chercher le libre travail. Elle mourra tantôt si on ne lui vient en
aide. Altesses, je ne suis qu’un pauvre petit bonhomme venu au
monde comme un chacun, ayant vécu comme je le pouvais, imparfait,
borné, ignorant, pas vertueux, point chaste ni digne d’aucune grâce
humaine ni divine. Mais Soetkin mourut des suites de la torture et
de son chagrin, mais Claes brûla dans un terrible feu, et je voulus
les venger, et le fis une fois ; je voulais aussi voir plus
heureux ce pauvre sol où sont semés ses os, et je demandai à Dieu
la mort des persécuteurs, mais il ne m’écouta point. De plaintes
las, je vous évoquai par la puissance du charme de Katheline, et
nous venons, moi et ma tremblante compagne, à vos pieds, demander,
Altesses divines, de sauver cette pauvre terre.
L’empereur et sa compagne répondirent ensemble :
Par la guerre et par le feu,
Par la mort et par le glaive,
Cherche les Sept.
Dans la mort et dans le sang,
Dans les ruines et les larmes,
Trouve les Sept.
Laids, cruels, méchants, difformes,
Vrais fléaux pour la pauvre terre,
Brûle les Sept.
Attends, entends et vois,
Dis-nous, chétif, n’es-tu bien aise ?
Trouve les Sept.
Et tous les esprits de chanter ensemble :
Dans la mort et dans le sang,
Dans les ruines et les larmes,
Trouve les Sept.
Attends, entends et vois
Dis-nous, chétif, n’es-tu bien aise ?
Trouve les Sept.
– Mais, dit Ulenspiegel, Altesse et vous, messieurs les esprits,
je n’entends rien à votre langage. Vous vous gaussez de moi, sans
doute.
Mais, sans l’écouter, ceux-ci dirent :
Quand le septentrion
Baisera le couchant,
Ce sera fin de ruines :
Trouve les Sept
Et la Ceinture.
Et cela avec un si grand ensemble et une si effrayante force de
sonorité, que la terre trembla et que les cieux frémirent. Et les
oiseaux sifflant, les hiboux hululant, les moineaux pépiant de
peur, les orfraies se plaignant, voletaient éperdus. Et les animaux
de la terre, lions, serpents, ours, cerfs, chevreuils, loups,
chiens et chats mugissaient, sifflaient, bramaient, hurlaient
aboyaient et miaulaient terriblement.
Et les esprits chantaient :
Attends, entends et vois,
Aime les Sept
Et la Ceinture.
Et les coqs chantèrent, et tous les esprits s’évanouirent sauf
un méchant empereur des mines qui, prenant Ulenspiegel et Nele
chacun par un bras, les lança dans le vide, sans douceur.
Ils se trouvèrent couchés l’un près de l’autre, comme pour
dormir, et ils frissonnèrent au vent froid du matin.
Et Ulenspiegel vit le corps mignon de Nele tout doré à cause du
soleil qui se levait.
Partie 2
I
Ce matin-là, qui était de septembre, Ulenspiegel prit son bâton,
trois florins que lui donna Katheline, un morceau de foie de porc,
une tranche de pain et partit de Damme, vers Anvers, cherchant les
Sept. Nele dormait.
Cheminant, il
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