LA LETTRE ÉCARLATE
rentrer.
Il y avait du vrai et du faux dans cette impression. L’enfant et la mère s’étaient, en effet, éloignées l’une de l’autre mais par la faute d’Hester, non de Pearl. Tandis que celle-ci vagabondait sous bois, quelqu’un avait été admis dans le cercle des sentiments de sa mère et en avait tellement modifié l’aspect que Pearl, à son retour, ne pouvait plus trouver sa place habituelle et ne savait plus où elle en était.
– Il me vient la fantaisie bizarre, remarqua le pasteur toujours réceptif, que ce ruisseau est une frontière qui sépare deux univers et que tu ne pourras plus jamais rencontrer de nouveau ta Pearl. Ou serait-elle un de ces petits elfes des légendes de notre enfance à qui il était défendu de franchir un cours d’eau ? Fais, s’il te plaît, en sorte qu’elle se hâte car ce délai déjà ébranle mes nerfs.
– Viens, enfant chérie, dit Hester d’un ton encourageant et en tendant les bras. Comme tu mets longtemps ! Quand donc te montras-tu pareillement indolente ? Il y a ici un de mes amis qui sera le tien aussi. Tu vas être aimée désormais deux fois plus que ne pouvait t’aimer ta mère toute seule. Saute par-dessus le ruisseau et viens ! Toi qui sais sauter aussi bien qu’un petit chevreuil !
Pearl, sans se montrer sensible en rien à ces douces instances, resta de l’autre côté du ruisseau. Tantôt, elle fixait le regard de ses yeux brillants et farouches sur sa mère, tantôt sur le pasteur et, tantôt, leur lançait à tous deux un même coup d’œil comme pour découvrir et s’expliquer le rapport qu’il pouvait y avoir entre eux. Pour quelque inexplicable raison, Arthur Dimmesdale, en sentant sur lui le regard de l’enfant, porta – du geste qui lui était devenu machinal – sa main à son cœur. À la fin, prenant un curieux air d’autorité, Pearl tendit son index vers la poitrine de sa mère. Et, à ses pieds, dans le miroir du ruisseau, l’image ensoleillée de la petite fille enguirlandée de fleurs pointait de l’index elle aussi.
– Drôle d’enfant ! Pourquoi ne viens-tu point à moi ? s’écria Hester.
Pearl continua de tendre son index et eut un froncement de sourcils d’autant plus impressionnant que sa petite face était tellement enfantine. Comme sa mère ne cessait de lui faire signe en parant son visage de sourires de fête tout à fait inaccoutumés, l’enfant frappa du pied en un geste plus impérieux encore. Et le ruisseau refléta, en les amplifiant, le froncement de sourcils, l’index tendu et le geste impérieux de la petite Pearl.
– Dépêche-toi, Pearl, ou je vais me fâcher, s’écria Hester. Le comportement de l’enfant-lutin, en toute autre occasion, pouvait la trouver endurcie, mais elle désirait naturellement lui voir en cet instant des façons plus convenables. Saute à travers le ruisseau, vilaine enfant et cours bien vite ici ! Sinon, je vais aller te chercher !
Mais Pearl, sans être un brin plus effrayée par les menaces de sa mère qu’elle n’avait été adoucie par ses instances, fut soudain saisie d’un vif accès de rage. Elle gesticulait avec violence et contorsionnait son petit corps de la plus extravagante manière en jetant des cris perçants que de toutes parts des échos répétaient dans les bois. De sorte que, pour seule qu’elle fût en sa déraisonnable colère enfantine, on eût dit que des multitudes d’êtres cachés la soutenaient de leur sympathie et de leurs encouragements. Une fois de plus, on vit dans le ruisseau l’image de la petite Pearl en courroux, couronnée et ceinturée de fleurs, mais frappant du pied, gesticulant sans mesure et ne cessant de montrer du doigt la poitrine d’Hester !
– Je vois ce qu’elle a, murmura Hester à son compagnon en pâlissant malgré un grand effort pour dissimuler son trouble. Les enfants ne peuvent supporter le moindre changement dans l’aspect de ce qu’ils ont quotidiennement sous les yeux. Pearl est déroutée de ne pas voir sur moi quelque chose qu’elle m’a toujours vu porter !
– Si tu as un moyen de la calmer, je t’en prie, uses-en au plus tôt, répondit le pasteur. Il n’est rien, à part le courroux venimeux d’une vieille sorcière comme dame Hibbins, ajouta-t-il en essayant de sourire, que je n’affronterais plus volontiers que cette explosion de colère chez une enfant. Sur la fraîche beauté de Pearl comme sur les rides de la sorcière, cette rage produit un effet
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