LA LETTRE ÉCARLATE
prise, la flamme d’une joie étrange pétilla dans la poitrine du pasteur, apaisant son trouble. C’était l’effet revigorant – sur un prisonnier échappé tout juste du cachot de son propre cœur – de l’air qu’on respire dans une région libre, non régénérée, non christianisée, encore sans loi. Son esprit s’éleva pour ainsi dire d’un bond et approcha plus près du ciel que durant toutes ces années misérables qui l’avaient maintenu rampant au ras du sol. Comme il était d’un tempérament profondément religieux, cet état d’esprit prit inévitablement chez lui une teinte pieuse.
– Eh, quoi, la joie serait de nouveau à ma portée ? s’écria-t-il tout surpris en face de lui-même. Je croyais que le germe en était mort chez moi ! Oh, Hester, tu es mon bon ange ! Il semble que, malade, marqué par le péché et la douleur, je me sois jeté ici sur ces feuilles de la forêt et me sois relevé un autre homme nanti de forces nouvelles pour glorifier Celui qui a été miséricordieux ! C’est déjà là une vie meilleure. Pourquoi ne l’avons-nous pas trouvée plus tôt ?
– Ne regardons pas en arrière, dit Hester. Le passé est parti ! Pourquoi nous attarderions-nous à le rappeler ? Regarde ! En détachant ce symbole j’efface tout comme si rien n’avait jamais existé !
En parlant ainsi, elle dégrafa la lettre écarlate de sa poitrine et la jeta au loin parmi les feuilles sèches. Le signe mystique alla échouer en bas, sur la rive. La largeur d’une main en plus il tombait dans l’eau, et donnait au petit ruisseau un autre chagrin à entraîner avec lui – en sus de l’histoire inintelligible qu’il ne cessait de murmurer. Mais la lettre brodée gisait à terre, scintillante comme un bijou perdu que quelque vagabond malchanceux viendrait peut-être à ramasser pour être hanté, ensuite, par des tristesses, d’étranges fantômes de péché et une malchance inexplicables.
Ce stigmate enlevé, Hester poussa un long, un profond soupir qui déchargea son esprit d’angoisse et de honte. Ô délicieux soulagement ! Elle ne s’était pas rendu compte du poids de son boulet avant de s’en sentir délivrée ! D’un autre élan, elle enleva la coiffe austère qui cachait ses cheveux et ils se répandirent sur ses épaules, noirs et abondants avec à la fois de l’ombre et de la lumière dans leur épaisseur et prêtant au visage qu’ils encadraient le charme de leur douceur. Sur les lèvres d’Hester et dans ses yeux un sourire se mit à briller radieux et tendre, le sourire même de la femme. Un flot pourpre colorait ses joues pendant si longtemps restées pâles. Son sexe, sa jeunesse, la splendeur de sa beauté lui revenaient du passé qu’on dit irrévocable, accouraient se presser, avec ses espoirs de vierge et un bonheur jusqu’alors inconnu, dans le cercle magique de cette heure. Et, comme si elle n’avait été qu’une émanation de ces deux cœurs mortels, la tristesse de la terre et des cieux s’évanouit avec leur peine. Tout d’un coup le soleil se montra, inondant d’un flot de rayons la forêt obscure, égayant chaque feuille verte, transmuant en or chaque feuille jaune, étincelant au long du tronc gris des arbres solennels. Tout ce qui avait jusqu’alors fait de l’ombre devenait de la lumière à présent. Le cours du petit ruisseau pouvait être suivi des yeux, grâce à son miroitement de fête tandis qu’il s’enfonçait dans le mystère du sous-bois devenu un mystère d’allégresse.
Ainsi, la nature marquait sa sympathie à ces deux esprits inondés de bonheur – cette nature sauvage et païenne de la forêt que ne subjugua jamais la loi humaine, que n’illuminèrent jamais les vérités les plus hautes. L’amour, qu’il vienne de naître ou s’éveille d’un sommeil de mort, créera toujours de la lumière, emplira le cœur du rayonnement qu’il répand sur le monde extérieur. Même si la forêt était restée sombre, il aurait fait clair dans les yeux d’Hester Prynne et d’Arthur Dimmesdale !
Hester regarda son compagnon avec le frémissement d’une joie nouvelle.
– Il faut que tu connaisses Pearl ! dit-elle. Notre petite Pearl ! Tu l’as vue, oui, je le sais ! mais tu la verras maintenant avec d’autres yeux. C’est une étrange enfant. Je ne la comprends qu’à peine. Tu l’aimeras chèrement comme je fais et me donneras conseil pour m’y prendre avec elle.
– Crois-tu qu’elle sera
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