LA LETTRE ÉCARLATE
marqués chacun au coin d’une malice nouvelle. Arthur Dimmesdale, péniblement embarrassé, mais espérant qu’un baiser serait le talisman qui le ferait entrer dans les bonnes grâces de l’enfant, se pencha et lui en déposa un sur le front. Sur quoi, Pearl échappant à sa mère, courut au ruisseau, s’y pencha et y baigna son front jusqu’à ce que ce baiser inopportun eût été tout à fait lavé et dissous dans un long écoulement d’eau claire. Ensuite, elle se mit à l’écart, regardant attentive et silencieuse sa mère et le pasteur en train de prendre ensemble les arrangements qu’imposaient la situation nouvelle et les projets qui allaient sous peu se réaliser.
Maintenant, cette entrevue fatidique prenait fin. Le petit vallon allait être laissé à sa solitude. Les vieux arbres sombres y chuchoteraient longuement, de toutes leurs innombrables langues, au sujet de ce qui s’y était passé et nul mortel n’en serait plus avancé. Et le ruisseau mélancolique ajouterait une nouvelle histoire aux histoires mystérieuses qui alourdissaient déjà son petit cœur de ruisseau et lui faisaient poursuivre son murmure sans un brin de gaieté de plus qu’aux âges précédents.
CHAPITRE XX – LE PASTEUR DANS UN LABYRINTHE
Tandis qu’il s’en allait, prenant de l’avance sur Hester Prynne et la petite Pearl, le pasteur jeta un regard en arrière. Il s’attendait presque à n’apercevoir, de la mère et de l’enfant, que de faibles contours en train de s’effacer dans la pénombre du sous-bois. Un tel bouleversement dans sa vie ne pouvait, sur le coup, lui paraître réel. Mais Hester était toujours là, dans sa robe grise. Elle se tenait debout à côté de ce tronc d’arbre qu’une tempête avait abattu de bien longues années auparavant. Le temps n’avait cessé, depuis, de le couvrir de mousse afin que deux êtres prédestinés, chargés du plus lourd fardeau de la terre, s’y pussent venir asseoir côte à côte et trouver une heure de répit et de consolation. Pearl aussi était là et sautillait, légère, au bord du ruisseau, occupant à présent que le tiers importun s’en était allé, son ancienne place auprès de sa mère. Donc le pasteur ne s’était pas endormi et n’avait pas rêvé !
Afin de libérer son esprit de la confusion étrangement troublante qu’y jetait un double courant d’impressions, Arthur Dimmesdale évoqua le plan qu’Hester et lui avaient esquissé au sujet de leur départ. Ils avaient tous deux décidé qu’avec ses foules et ses villes, le vieux Monde leur offrirait un abri plus souhaitable et une plus sûre cachette que les sauvages étendues de la Nouvelle-Angleterre avec ses wigwams ou ses colonies d’Européens disséminées au long des côtes.
Sans parler de sa santé qui ne pourrait supporter la dure vie des bois, les dons naturels et la culture du Révérend Dimmesdale ne lui désignaient un chez-lui que dans les pays de civilisation raffinée. Pour achever de faire pencher la balance en faveur d’un tel choix, un bateau se trouvait actuellement au port. C’était un de ces vaisseaux suspects comme il y en avait beaucoup alors qui, sans être tout à fait des hors-la-loi de la mer, n’en rôdaient pas moins sur sa surface avec des réputations fort mal établies. Celui-ci était récemment arrivé d’Espagne et allait, dans trois jours, mettre à la voile pour Bristol. Hester Prynne, que sa vocation de sœur de charité avait mise en rapport avec le capitaine, pourrait s’arranger pour y retenir trois places avec tout le secret que les circonstances rendaient plus que désirable.
Le pasteur s’était enquis auprès d’Hester, et avec grand intérêt, de la date de départ du vaisseau. Il avait appris qu’elle tomberait sans doute dans quatre jours. « Voilà qui est très heureux », s’était dit le pasteur en lui-même. Mais pourquoi trouvait-il ce détail si heureux ? Pour une raison que nous hésitons à dévoiler. La voici, cependant, afin de ne rien cacher au lecteur : dans trois jours le Révérend Dimmesdale devait prêcher le sermon dit de l’Élection {67} – car il allait y avoir changement de gouverneur. Et, comme un événement pareil faisait honorablement époque dans la vie d’un clergyman de Nouvelle-Angleterre, le Révérend Dimmesdale n’aurait pu choisir meilleur moment pour terminer sa carrière. « Nul ne pourra en tout cas dire de moi, songeait cet homme exemplaire, que j’ai mal rempli ou
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