LA LETTRE ÉCARLATE
heureuse de me connaître ? demanda le pasteur avec quelque gêne. Voici longtemps que j’évite les enfants car ils se montrent souvent méfiants envers moi. La petite Pearl m’a même fait un peu peur !
– Ah, voilà qui était triste ! répondit la mère. Mais vous allez vous aimer chèrement désormais. Elle n’est pas loin, je vais l’appeler. Pearl !
– Je la vois, dit le pasteur. Elle est debout dans un rayon de soleil, loin par-delà le ruisseau. Ainsi donc, tu crois que l’enfant va m’aimer ?
Hester sourit et, de nouveau, appela Pearl qu’on apercevait, ainsi que l’avait dit Arthur Dimmesdale, debout à quelque distance, dans un rayon de soleil qui tombait sur elle à travers une voûte de feuillage. Sa silhouette rentrait dans l’ombre ou s’illuminait, selon les jeux de la lumière. Elle s’entendit appeler et se mit lentement en route à travers la forêt.
Pearl n’avait pas trouvé le temps long tandis que sa mère s’entretenait avec le pasteur. La grande forêt sombre – pour sévère qu’elle pût se montrer à ceux qui apportaient en son sein les forfaits et les soucis du monde – s’était de son mieux transformée en compagne de jeux pour l’enfant solitaire. Toute ténébreuse qu’elle fût elle s’était mise en frais d’aimable humeur pour l’accueillir. Elle lui avait offert des baies, fruits de l’automne passé mais ne mûrissant qu’au printemps et aussi rouges à présent que des gouttes de sang sur les feuilles flétries. Pearl les avait ramassées et s’était régalée de leur saveur âpre. Les petits habitants de ces lieux sauvages ne prenaient autant dire pas la peine de s’écarter de son chemin. À vrai dire, une perdrix que suivait sa couvée précipita pourtant sa marche d’un air menaçant ; mais se repentant sans retard de son impétuosité elle caqueta à ses petits de ne pas avoir peur. Un pigeon laissa Pearl venir jusque sous la branche où il était perché, tout seul, et fit alors un bruit de gorge qui était un salut plutôt qu’un cri d’alarme. Des majestueuses hauteurs de l’arbre où il logeait, un écureuil se mit à jacasser, soit avec gaieté soit avec colère – car l’écureuil est un petit personnage si coléreux et si gai qu’il est difficile de discerner son humeur – et lança sur la tête de l’enfant une noix de l’année dernière qu’avait déjà grignotée sa dent aiguë. Un renard, dérangé dans son sommeil par des pas légers sur les feuilles, jeta à la promeneuse un regard inquisiteur comme s’il se demandait si mieux valait s’enfuir ou se rendormir sur place. Un loup, dit-on – mais ici le conte sûrement s’égare dans l’invraisemblance – un loup se serait présenté, aurait flairé la robe de Pearl et tendu sa tête féroce pour se faire caresser. Il semble bien vrai, en tout cas, que la mère-forêt et les bêtes et les plantes sauvages qu’elle nourrissait reconnurent en cette enfant des humains une sauvagerie parente de la leur.
Et Pearl était là plus douce que dans les rues bordées d’herbe de la colonie ou dans la chaumière de sa mère. Les fleurs semblaient le savoir et l’une ou l’autre lui chuchotait en la voyant passer : « Fais-toi belle avec moi ! » Et, pour leur faire plaisir, Pearl cueillit des violettes et des anémones et des pimprenelles et quelques menues branchettes vert tendre que les vieux arbres abaissèrent à sa portée. Avec sa récolte, elle orna ses cheveux et sa taille et devint la fille d’une nymphe ou une dryade enfant, ou n’importe quel autre personnage approchant de plus près l’antiquité des bois. Pearl était en train de se parer ainsi quand elle entendit la voix de sa mère et revint lentement sur ses pas.
Lentement – car elle avait vu le pasteur !
CHAPITRE XIX – L’ENFANT AU BORD DU RUISSEAU
– Tu l’aimeras chèrement, disait Hester, tandis qu’avec Arthur Dimmesdale elle regardait approcher la petite Pearl. Ne la trouves-tu point belle ? Vois avec quel talent naturel elle a su se parer de ces simples fleurs ! Si elle avait ramassé des perles, des diamants et des rubis dans les bois, ils n’auraient pu lui aller mieux ! C’est une enfant merveilleuse ! Et je sais bien de qui elle a le front !
– Sais-tu, Hester, dit le pasteur avec un sourire inquiet, que cette chère enfant trottant toujours à tes côtés m’a causé maintes et maintes alarmes ? Il me semblait – oh, Hester, quelle pensée était-ce
Weitere Kostenlose Bücher