La Liste De Schindler
C’est grâce à cela qu’il persuada Marcel Goldberg de le mettre sur la liste avec sa femme, son fils, et sa petite-fille.
Les frères Bejski, Uri et Moshe, dont l’un était réparateur et l’autre dessinateur industriel, y figuraient aussi. Uri avait quelques connaissances des armes et Moshe des talents de forgeur. Est-ce pour cette raison qu’on les y avait inscrits ?
Josef Bau, le petit fiancé cérémonieux, ferait éventuellement, lui aussi, partie des élus, mais sans qu’il le sût. Connaissant son caractère, on peut assurer que s’il fit des avances à Goldberg, ce ne fut pas seulement pour son propre compte, mais aussi pour celui de sa mère et de sa femme. Il s’apercevrait trop tard que lui seul était porté comme partant.
Quant à Stern, Herr Direktor l’avait inscrit dès le début. Stern était en quelque sorte son confesseur et Oskar prêtait toujours beaucoup d’intérêt à ses suggestions. Depuis le 1er octobre, aucun prisonnier juif n’avait obtenu la permission de sortir de Plaszow. Et l’on avait envoyé des gardes autour des baraques pour empêcher les prisonniers juifs de négocier l’achat de pain avec des Polonais. Le prix du pain au marché noir avait atteint un niveau tel qu’il était devenu presque impossible de l’exprimer en zlotys. Autrefois, on pouvait échanger une miche contre un pardessus, une tranche de deux cent cinquante grammes contre un maillot de corps en bon état. Maintenant il fallait des diamants.
Au cours de la première semaine d’octobre, Oskar et Bankier se rendirent à Plaszow pour une raison quelconque et allèrent, comme à leur habitude, voir Stern dans le bureau de la construction. Le bureau de Stern était dans le même couloir que celui d’Amon, désormais absent. On pouvait donc parler beaucoup plus librement qu’auparavant. Stern parla à Schindler des prix exorbitants du pain de seigle.
— Faites en sorte de remettre cinquante mille zlotys à Weichert, murmura Oskar en direction de Bankier.
Le Dr Michael Weichert était président de l’ancienne Entraide juive, maintenant baptisée Bureau du secours juif. On lui avait permis de conserver son cabinet parce qu’on le disait expert en soins capillaires, mais surtout parce qu’il avait de sérieux appuis dans la Croix-Rouge allemande. Bien que pas mal de prisonniers juifs eussent toutes sortes de réserves à son égard – il passera en cour de justice après la guerre et sera acquitté –, Weichert était exactement le type de personnage à se procurer du pain avec cinquante mille zlotys et à le faire passer à Plaszow.
Oskar et Stern poursuivirent leur conversation. Les cinquante mille zlotys n’étaient qu’une parenthèse, nécessaire certes, mais ils préféraient parler des temps incertains et de la façon dont Amon devait apprécier sa cellule à Breslau. Un peu plus tard dans la semaine, tout un lot de pain acheté au marché noir fut introduit dans le camp sous des lots de vêtements, de charbon ou de ferraille. En moins d’une journée, le prix du pain était retombé à son niveau habituel.
Ce petit exemple d’heureuse complicité entre Oskar et Stern serait suivi de beaucoup d’autres.
CHAPITRE 32
Une personne au moins, rayée par Goldberg pour faire place à d’autres – parents, sionistes, spécialistes ou généreux donateurs –, a toujours tenu Oskar pour responsable de cette affaire.
En 1963, la Martin Buber Society allait recevoir une lettre pitoyable d’un ancien prisonnier d’Emalia. Oskar, disait-il, avait promis à un certain nombre de gens de les tirer d’affaire. Tous ces gens, ces travailleurs, c’étaient eux qui l’avaient rendu riche. Pourtant certains d’entre eux n’ont pas figuré sur la liste. Cet homme pensait réellement qu’il avait été trahi et qu’Oskar était responsable de l’enfer qu’il avait vécu par la suite : Gröss-Rosen, la terrible falaise de Mauthausen d’où l’on jetait les prisonniers, et, plus que tout peut-être, cette marche de la mort insensée qui se terminerait avec la guerre.
Cette lettre frappée de la colère du juste prouve s’il en était besoin que, en dehors de la liste, point ou peu de salut. Mais blâmer Oskar pour les tripatouillages de Goldberg me paraît particulièrement injuste. Dans le chaos des derniers jours, les autorités du camp auraient signé n’importe quelle liste pourvu que le nombre des figurants ne dépassât pas d’une façon trop flagrante la limite des
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