La Liste De Schindler
chercher des noms, sachant que le lendemain matin, il se maudirait au réveil d’avoir oublié tel ou tel. Mais il était épuisé à tant vouloir faire revivre des gens rien qu’en pensant à eux.
La liste devait cependant passer entre les mains du secrétaire du personnel, Marcel Goldberg. Büscher, le nouveau commandant, n’était là, en fait, que pour replier le camp, et peu lui importait qui figurait sur la liste, pourvu que le nombre des partants restât dans les limites fixées. Mais Goldberg pouvait très bien prendre sur lui de changer quelques noms. Les prisonniers connaissaient le bonhomme : un pourri. Et notamment Juda Dresner, le père de Janke et de Danka, l’oncle du Petit Chaperon rouge, dont l’épouse s’était vu refuser une place dans le double mur de sa voisine. « Il a payé Goldberg », dirait simplement la famille pour expliquer comment ils se retrouvèrent sur la liste. Ils ne surent jamais le montant du pot-de-vin. Wulkan, le joaillier, se retrouva sur la liste avec sa femme et son fils. Probablement de la même manière.
Poldek Pfefferberg avait entendu parler de la liste par un sous-officier SS, Hans Schreiber, un jeune homme dans les vingt-cinq ans qui avait une réputation aussi féroce que ses camarades mais dont Pfefferberg était devenu plus ou moins le protégé à la faveur des relations complexes qui s’établissaient dans tous les camps entre gardes et prisonniers. Cette heureuse relation avait débuté un jour où Pfefferberg, en tant que responsable de sa baraque, devait superviser le nettoyage des fenêtres. Schreiber, à qui l’on avait confié l’inspection de ce travail, découvrit des traces de poussière sur un carreau et commença à froncer les sourcils de la manière qui annonçait une exécution. Pfefferberg perdit son calme et dit tout crûment à Schreiber qu’il savait aussi bien que lui que les carreaux étaient propres, et que s’il cherchait simplement un prétexte pour l’exécuter, eh bien, qu’il le fasse tout de suite. Contrairement à tout ce à quoi on pouvait s’attendre, cette sortie avait beaucoup amusé Schreiber qui, depuis, prenait de temps en temps de ses nouvelles et lui donnait parfois une pomme pour Mila. Au cours de l’été 1944, Poldek l’avait supplié de faire sortir Mila d’un convoi de prisonnières destinées au sinistre camp de Stutthof sur la Baltique. Mila était déjà dans la colonne prête à monter dans le train quand Schreiber apparut, brandissant une feuille de papier et appelant son nom. Une autre fois – c’était un dimanche –, il arriva ivre mort dans la baraque de Pfefferberg et se mit à pleurnicher devant Poldek et les autres prisonniers médusés en se reprochant « les choses affreuses » qu’il avait faites à Plaszow. Il avait l’intention d’aller expier ses fautes sur le front de l’Est. Et c’est finalement ce qu’il fit.
Mais à ce moment-là, il avait contacté Poldek pour lui parler de la liste et lui dire qu’il fallait absolument qu’il figure dessus. Poldek se rendit dans les bureaux de l’administration pour supplier Goldberg de l’inscrire ainsi que Mila. Schindler avait souvent rendu visite à Pfefferberg dans le garage du camp au cours de l’année passée, et il lui avait toujours promis son soutien. Mais Poldek était devenu un tel expert en soudure que les contremaîtres du garage – qui ne devaient la vie qu’au fait qu’ils produisaient un travail de haute qualité – ne le laisseraient jamais partir. Goldberg tenait la liste en main – il y avait déjà ajouté son propre nom –, et voici maintenant que Pfefferberg, un vieil ami d’Oskar qui avait été souvent invité dans son appartement de la rue Straszewskiego, en appelait à ses bons sentiments pour figurer dessus.
— Vous avez des diamants ? demanda Goldberg.
— C’est sérieux ou quoi ?
— Pour figurer sur la liste, il faut des diamants, rétorqua Goldberg gonflé comme une baudruche par le prodigieux pouvoir qu’il détenait désormais.
Maintenant que le grand amateur de musique viennoise, le Hauptsturmführer Goeth, se trouvait en prison, les frères Rosner, musiciens attitrés de la cour, se sentaient les mains libres pour tenter d’être mis sur la liste. Comme Dolek Horowitz, d’ailleurs, qui avait réussi à placer sa femme et ses enfants à Emalia. Horowitz avait toujours travaillé dans l’entrepôt central de Plaszow et avait réussi à accumuler un petit trésor.
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