La Liste De Schindler
Schindler serait évacuée dans un des entrepôts de l’usine textile des Hoffman à Brinnlitz. Sussmuth dit à Oskar au téléphone que les ronds-de-cuir de Moravie ne pourraient rien faire d’autre qu’essayer de mettre des bâtons dans les roues. Mais les Hoffman et d’autres membres du parti de la région de Zwittau avaient déjà tenu une conférence pour déterminer les moyens dont ils pourraient disposer pour faire échouer le plan d’Oskar. Le Kreisleiter du parti à Zwittau avertit Berlin par lettre que l’intrusion de prisonniers juifs en provenance de Pologne mettrait en danger la santé des Allemands de Moravie. La méningite qui avait été définitivement vaincue réapparaîtrait sans doute dans la région. Sans compter que la petite usine d’armements d’Oskar qui était d’une importance négligeable attirerait les bombardiers alliés qui ne manqueraient pas de causer de sérieux dégâts aux usines de textile. L’afflux d’un nombre important de criminels juifs dans le camp Schindler ferait peser un danger réel sur la population honnête de Brinnlitz et constituerait une tumeur cancéreuse sur le flanc de Zwittau.
Les protestations de cet acabit n’avaient aucune chance d’être retenues dans la mesure où elles arrivaient directement sur le bureau d’Erich Lange à Berlin. Quant aux lettres expédiées à Troppau, l’honnête Sussmuth en faisait son affaire. Il n’en reste pas moins que des affiches apparurent sur les murs de la ville natale d’Oskar :
« Pas de criminels juifs ici. »
Pendant ce temps, Oskar payait. Il payait la Commission du redéploiement de Cracovie pour qu’elle délivre le plus rapidement possible les permis nécessaires pour le transfert des machines. Il payait la Banque centrale pour qu’elle donne son aval au transfert des fonds bancaires. La monnaie n’était pas en grande faveur à cette époque, aussi payait-il en marchandises – kilos de thé, chaussures de cuir, tapis, café, conserves de poisson. Il passait des après-midi entiers à marchander les denrées réclamées par les fonctionnaires dans les petites rues proches du marché de Cracovie. Il était persuadé que sans cela, ces messieurs le feraient lanterner jusqu’à ce que le dernier juif fût envoyé à Auschwitz.
Sussmuth avertit Oskar que des gens de Zwittau l’avaient accusé de faire du marché noir auprès de l’Inspection des armements. « S’ils m’écrivent à moi, disait Sussmuth, vous pouvez parier qu’ils expédient le même type de lettres au chef de la police de Moravie, l’Obersturmführer Otto Rasch. Il serait peut-être utile d’aller voir Rasch et de lui faire un numéro de charme. »
Oskar avait connu Rasch quand celui-ci était chef de la police SS de Katowice. Et, par chance, Rasch était un ami personnel du P.-D.G. de Ferrum AG de Sosnowiec avec qui Oskar avait été en relation d’affaires. Mais en se rendant à Brno pour essayer de contrer ses détracteurs, Oskar ne comptait pas seulement sur quelques gages éphémères d’amitié. Il avait apporté avec lui un superbe diamant qu’il sortit négligemment de sa poche au cours de son entretien. Quand le diamant atterrit de l’autre côté du bureau devant Rasch, Oskar sut tout de suite qu’il tenait désormais solidement le front de Brno.
Oskar estima par la suite qu’il avait dû dépenser en pots-de-vin plus de cent mille Reichsmark, soit environ trois cent vingt mille francs actuels. Aucun des survivants n’a jamais contesté ce chiffre, encore que certains l’aient jugé en deçà de la réalité.
Il avait rempli ce qu’il appelait une liste préparatoire et l’avait déposée auprès des services administratifs. Elle contenait plus d’un millier de noms – ceux de tous les prisonniers du camp d’Emalia, plus quelques autres. Celui de Helena Hirsch y figurait, bien sûr, et Amon n’était pas là pour argumenter.
La liste s’accroîtrait considérablement si Madritsch acceptait enfin de jouer le jeu. Aussi Oskar continua-t-il à plaider l’affaire auprès de Titsch, son allié, qui avait l’oreille de Madritsch. Les prisonniers proches de Titsch étaient au courant du problème. Celui-ci leur avait dit sans aucune ambiguïté : « Il faut qu’il y ait une liste, et il faut que vous soyez dessus. »
Parmi les tonnes de paperasseries qui circulaient à Plaszow, il n’y avait guère que la douzaine de feuillets d’Oskar qui fût porteuse d’espoir.
Madritsch
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