La Liste De Schindler
avait pu supporter le choc d’Auschwitz. Tout le monde pressait Oskar de donner des assurances.
— Je les ferai venir, coupait Schindler de sa voix rauque.
Il ne donnait pas d’explications. Il n’allait pas s’étendre sur les innombrables pots-de-vin nécessaires pour mener à bien son entreprise. Il ne parlait pas de la liste envoyée au colonel Erich Lange qui, de son côté, multipliait les efforts.
— Je les ferai venir. Un point, c’est tout.
La garnison détachée à Brinnlitz avait donné à Oskar quelques raisons d’espérer. C’étaient des réservistes déjà un peu pépères qui avaient été rappelés pour permettre aux jeunes de partir au front. Le pourcentage des lunatiques était beaucoup moins élevé qu’à Plaszow et Oskar savait leur caresser le ventre, en leur donnant l’accès aux popotes où l’on distribuait une nourriture un peu primaire, certes, mais abondante. Il leur rendit visite dans leur baraque et tint le discours, ô combien de fois ressassé, sur les qualifications uniques de ses prisonniers, sur l’importance de sa production de guerre : des obus antitanks, soulignait-il, et des douilles pour un projectile encore tenu secret. Il demanda à ces bons bougres de SS de ne pas faire d’intrusions intempestives dans les ateliers. Elles pourraient nuire à la productivité des travailleurs.
Leur attitude semblait indiquer que cette petite ville tranquille leur convenait admirablement. Ici, ils pourraient peut-être échapper au cataclysme. Pourquoi iraient-ils pousser des coups de gueule dans les ateliers comme un Goeth ou un Hujar? Ils ne voulaient surtout pas que Herr Direktor puisse leur tenir grief de quoi que ce soit.
Une incertitude, cependant. Le commandant du détachement SS n’était pas encore sur place. Il devait être quelque part entre Brinnlitz et le camp de travail de Budzyn où l’on fabriquait des éléments du bombardier Heinkel jusqu’à ce que l’avance russe oblige les Allemands à se replier. Oskar savait que cet homme-là serait plus vif, plus jeune, plus fouineur. Lui interdire l’accès des ateliers serait peut-être une autre paire de manches.
Quand tout semblait se mettre en place, qu’on perçait les toits pour les emplacements des grosses machines Hilo, que le béton coulait, que les sous-officiers SS rêvaient déjà de la dolce vita, et qu’Emilie se retrouvait plongée dans la vie conjugale, Oskar fut arrêté pour la troisième fois.
La Gestapo arriva au moment du déjeuner. Oskar, qui s’était rendu ce matin-là à Brno pour affaires, n’était pas dans son bureau. Un camion venait juste d’arriver de Cracovie chargé d’un éventail des petits trésors personnels de Herr Direktor : cigarettes, caisses de vodka, cognac, Champagne. Toutes ces marchandises étaient-elles, comme certains l’affirmeront plus tard, la propriété de Goeth qu’Oskar avait accepté de rapatrier en Moravie en échange du soutien que Goeth lui avait accordé pour son transfert à Brinnlitz ? Dans la mesure où Goeth, en prison depuis un mois, n’avait plus son mot à dire, on peut estimer que tous ces articles appartenaient bien à Oskar.
En tout cas, les camionneurs qui allaient décharger le pensaient et ils devinrent un peu nerveux à la vue des hommes de la Gestapo dans la cour de l’usine. Ils disposaient, en tant que « conducteurs », d’un laissez-passer qui leur permettait de sortir de l’enceinte de l’usine. Ils en profitèrent pour conduire le camion près d’un petit cours d’eau où ils déversèrent la totalité des bouteilles. Ils réussirent quand même à cacher. deux cent mille cigarettes sous un gros transformateur.
Une telle quantité de cigarettes et de liqueurs ne pouvait signifier qu’une chose : Oskar, toujours au courant des vraies valeurs commerciales, ne comptait plus désormais pour vivre que sur les échanges au marché noir.
Ils remisèrent le camion dans le garage au moment où la sirène annonçait la soupe de midi. Les jours précédents, Herr Direktor avait déjeuné avec les prisonniers, et les camionneurs espéraient bien qu’il ne dérogerait pas à l’habitude : ils pourraient ainsi lui expliquer où était passée la cargaison.
Quand il revint de Brno peu de temps après, il dut s’arrêter devant les deux hommes de la Gestapo qui, main levée, lui interdisaient l’entrée de l’usine. Ils lui donnèrent l’ordre de descendre de voiture.
— Ceci est mon usine, dit Oskar. Si
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