La Liste De Schindler
n’avait pas été programmé.
Au bout d’une semaine, il envoya un message à l’Oberführer Scherner par l’intermédiaire de Huth et de Klonowska. Le bureau V, disait-il en substance, exerçait une telle pression sur lui qu’il se demandait s’il pourrait encore longtemps répondre évasivement à des questions qui pourraient mettre en cause l’ancien chef de la police. Scherner, qui était alors affecté à la lutte antipartisane où il trouverait bientôt la mort, s’empressa de rappliquer rue Pomorska et déclara tout de go à Oskar qu’il estimait scandaleux ce qui s’était passé.
— Et Amon ? demanda Oskar, pensant que l’autre allait aussi classer cette affaire sous la rubrique « scandales ».
— Il n’a que ce qu’il mérite.
Ainsi, tout le monde semblait tourner le dos à Amon.
— Ne vous tracassez pas, dit Scherner en partant. On vous sortira de là.
On le relâcha le matin du huitième jour. Oskar, cette fois-ci, ne demanda pas de voiture pour le raccompagner. Il ne demanda rien du tout, d’ailleurs, s’estimant déjà assez heureux de se retrouver sur le trottoir glacé qui bordait la prison. Il prit plusieurs tramways pour se rendre à sa vieille usine de Zablocie sur laquelle veillaient quelques vigiles polonais. De là, il appela Emilie.
Moshe Bejski, un dessinateur de Brinnlitz, évoquera plus tard la confusion qui suivit le départ d’Oskar. Tout le monde s’interrogeait. Les rumeurs les plus folles circulaient. Stem, Maurice Finder, Adam Garde et quelques autres étaient allés trouver Emilie pour discuter des problèmes d’intendance, de travail et de sommeil. Ils comprirent tout de suite qu’Emilie était partie prenante dans cette affaire. Ce n’était pas une femme heureuse, et elle se sentait d’autant plus frustrée par l’arrestation d’Oskar que ni l’un ni l’autre n’avaient eu encore le temps de se réconcilier avec l’idée de vivre de nouveau en commun. Mais il apparut clairement à Stern et aux autres qu’elle n’était pas seulement là, dans ce petit appartement du rez-de-chaussée, par devoir conjugal. Elle aussi se sentait responsable du sort des prisonniers par conviction morale et religieuse. Une image du Sacré-Cœur, que Stern avait déjà eu l’occasion de voir dans des maisons de catholiques polonais, pendait à un mur de l’appartement. Est-il utile de préciser qu’il n’en avait jamais vu dans les appartements d’Oskar à Cracovie ? Ce n’était d’ailleurs pas exactement le type d’image pieuse qui pouvait réchauffer le cœur d’un juif quand il en apercevait une dans une cuisine polonaise. Mais ici, dans l’appartement d’Emilie, cette image semblait porteuse d’espoir.
A Auschwitz, dans cette autre planète où les femmes de Schindler vivaient entourées de ténèbres, Rudolf Höss régentait son domaine en maître absolu. Les lecteurs du Choix de Sophie de William Styron auront eu un aperçu de la personnalité de cet homme. Bien différent d’Amon, certes, plus froid, plus courtois, plus cérébral, et néanmoins le grand sorcier dans ce royaume de cannibales. Bien qu’il eût, dans les années 20, assassiné un enseignant de la Ruhr qui avait dénoncé un « activiste » allemand et qu’il eût été emprisonné pour ce meurtre, à Auschwitz, il n’avait jamais tué quelqu’un de sa propre main. Il se considérait plutôt comme un technicien. Champion du Zyklon B – ces petits cristaux d’acide cyanhydrique qui se désintègrent au contact de l’air –, il avait engagé une polémique scientifique avec son rival, le Kriminalkommissar Christian Wirth dont dépendait le camp de Belzec et qui animait l’école des tenants de l’oxyde de carbone. Le chimiste Kurt Gerstein, officier SS, avait assisté un jour à la mise à mort d’un groupe de prisonniers juifs mâles, entassés dans les chambres à gaz de Belzec. Grâce aux méthodes scientifiques préconisées par le Kommissar Wirth, l’agonie avait duré plus de trois heures. Le développement continu d’Auschwitz et le déclin de Belzec témoignent aux yeux de l’Histoire que la technologie préconisée par Höss était plus efficace que l’autre.
Quand, en 1943, Rudolf Höss fut muté pour devenir pendant quelque temps directeur adjoint de la section D d’Oranienburg, Auschwitz était déjà plus qu’un camp de travail. Plus qu’un symbole de l’efficacité nazie. C’était un univers qui avait basculé cul par-dessus tête,
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