La Liste De Schindler
prisonniers, Polonais, juifs, Tsiganes en train d’attendre. Quelques milliers d’autres se trouvaient à Auschwitz, le camp originel où résidait encore le commandant Rudolf Höss.
Et dans le complexe industriel d’Auschwitz 3, plusieurs dizaines d’autres milliers de prisonniers travaillaient tant qu’ils le pouvaient encore. Les gens de Schindler n’avaient qu’une vague idée du nombre de sous-hommes qui peuplaient le royaume d’Auschwitz. Ils avaient vu la fumée s’élever en permanence au-dessus des crématoires et des bûchers, à l’extrémité ouest de l’énorme complexe, au-delà des bouleaux. Ils n’étaient pas loin de penser que la marée était en train de les pousser petit à petit là-bas, inexorablement. Mais en dépit de toutes les rumeurs qui sont partie prenante de la vie des camps, jamais ces femmes n’auraient pu imaginer le nombre de prisonniers qu’on pouvait expédier chaque jour dans les chambres à gaz quand le système rendait bien : neuf mille, selon Höss.
Ces femmes ignoraient également qu’elles étaient arrivées à Auschwitz à un moment où les revers militaires allemands et les négociations secrètes engagées entre Himmler et le comte suédois Folke Bernadotte modifiaient quelque peu les données du camp. Les Russes ayant découvert dans le camp de Lublin cinq cents caissons de Zyklon B et plusieurs fours crématoires contenant des ossements humains, la chape de silence sur les camps d’extermination imposée par les Allemands était enfin levée. La nouvelle avait fait le tour du monde. Himmler, qui prétendait à la succession de Hitler et voulait redorer son blason, était prêt à promettre aux Alliés que c’en était fini des chambres à gaz. Il n’envoya cependant aucune directive à cet effet avant octobre 1944 – la date précise est encore du domaine des hypothèses. Une copie de la directive avait été envoyée au général Pohl à Oranienburg ; l’autre à Kaltenbrunner, chef des services de sécurité du Reich. On continua cependant à gazer les juifs de Plaszow, de Theresienstadt et d’Italie jusqu’à la mi-novembre. D’après les recoupements qui ont été faits, la dernière sélection pour les chambres à gaz a dû avoir lieu le 30 octobre 1944.
Pendant leur première semaine à Auschwitz, les prisonnières du groupe Schindler s’attendaient au pire. Même plus tard, alors que les dernières victimes des chambres à gaz poursuivaient leur marche à la mort vers l’extrémité ouest de Birkenau, que les crématoires et les bûchers consumaient les piles de cadavres en attente, elles ne remarquèrent aucune modification sensible dans les affaires quotidiennes du camp. De toute façon, la plupart de ceux qui échappèrent aux chambres à gaz furent tués par balles un peu plus tard – ce fut le cas de tous ceux qui travaillaient aux fours crématoires –, ou moururent de maladie ou d’épuisement.
Quoi qu’il en soit, le groupe Schindler fut soumis à de nombreuses inspections médicales au cours des mois d’octobre et de novembre. Certaines prisonnières avaient été séparées du gros de la troupe dès l’arrivée et expédiées dans les baraques réservées aux incurables. Les médecins d’Auschwitz – Josef Mengele, Fritz Klein, Konig et Thilo – ne se contentaient pas de faire le tri sur les voies de garage de Birkenau. Ils circulaient partout dans le camp, assistaient aux appels, allaient dans les salles de douches et demandaient avec un sourire : « Quel âge avez-vous, grand-mère ? »
Mme Clara Sternberg et Mme Lola Krumholz, âgées de soixante ans, se retrouvèrent ainsi dans une baraque réservée aux vieillards qu’on laissait tranquillement mourir sans grever les dépenses de l’administration. Pensant que Niusia, sa frêle petite-fille âgée de onze ans, n’échapperait pas à une « inspection de douches », Mme Horowitz l’avait cachée dans un sauna désaffecté. Une des gardes SS, une jolie blonde qui avait toujours l’air en rogne, avait bien repéré la manœuvre, mais n’avait cependant rien dit. Il fallut l’acheter en lui donnant une broche que Mme Horowitz avait réussi à cacher. Une autre, manifestement lesbienne, avait fait quelques avances à d’autres prisonnières. Durent-elles céder ?
De temps à autre, un ou plusieurs médecins arrivaient devant la baraque pendant l’appel. Dès qu’elles les voyaient rappliquer, les prisonnières tentaient de se colorer les joues en
Weitere Kostenlose Bücher