La Liste De Schindler
Dresner attendit encore un petit moment, mais il n’y eut pas de nouvelle fouille. Ce serait pour demain ou le jour suivant.
Car ils allaient revenir. Ils allaient ratisser le ghetto. Ce qu’en juin on avait considéré comme l’horreur absolue était devenu l’horreur quotidienne. En son for intérieur, elle remerciait le garçon de l’OD. Mais il devenait clair qu’à partir du moment où le meurtre était programmé sur une échelle industrielle comme c’était désormais le cas à Cracovie, aucun geste d’héroïsme ne pourrait plus jamais faire revenir les choses en arrière. Un slogan circulait désormais dans le ghetto : « une heure de vie, c’est quand même la vie. » L’OD lui avait donné cette heure-là. Elle savait que personne n’aurait pu lui donner plus.
Elle remonta les escaliers pour aller chercher Danka. La voisine se sentait un peu honteuse.
— Votre fille sera toujours la bienvenue, dit-elle.
Ce qui voulait dire en fait : ce n’est pas par peur que je ne vous ai pas gardée, mais parce que je pensais que ce serait plus raisonnable. Et je continuerai à le penser. Votre fille, soit, mais pas vous.
Mme Dresner ne répliqua pas. Elle pensait que le raisonnement de la voisine se fondait sur ce type même d’impondérables dont elle avait été aujourd’hui la bénéficiaire sous l’escalier. Elle remercia la femme. Danka devrait peut-être avoir recours à son hospitalité une autre fois.
A partir de ce jour, Mme Dresner, qui paraissait encore jeune pour ses quarante-deux ans et qui était en bonne santé, tenterait de survivre en ne comptant que sur sa force et sa santé : c’était le seul capital qui pouvait représenter une valeur économique quelconque aux yeux de l’Inspection des armements. Elle savait bien que ce n’était pas grand-chose. Tous les gens qui avaient encore un peu de sens commun pensaient qu’aux yeux des SS le potentiel de travail du peuple juif importait moins que la destruction de ce peuple. A cette époque, la seule question était de savoir : Qui sauvera Juda Dresner, cadre d’usine ?
Qui sauvera Janek Dresner, réparateur au parc automobile de la Wehrmacht? Qui sauvera Danka Dresner, femme de ménage de la Luftwaffe, le jour où les SS décideront de mettre une croix sur leur valeur économique ?
Au même moment où l’OD prenait le risque de sauver la vie de Mme Dresner, des jeunes sionistes de Halutz et des hommes de l’OBZ s’apprêtaient à faire un acte de résistance moins anodin. Ils avaient revêtu des uniformes de Waffen SS et avaient pu ainsi pénétrer dans le restaurant Cyganeria sur la place Ducha, juste en face du théâtre Slowacki. Ils y déposèrent une bombe qui fit sauter quelques tables à travers le toit, réduisit sept SS en charpie et en blessa quelque quarante autres.
Quand Oskar apprit la nouvelle, il se dit qu’il aurait bien pu se trouver là avec quelque officier SS de haut rang qu’il aurait invité à dîner.
Shimon et Gusta Dranger ainsi que leur petit noyau de résistants avaient décidé qu’il était impératif de secouer la torpeur du ghetto par une action d’éclat. Et que d’autres suivraient, qui ne manqueraient pas, espéraient-ils, de faire basculer leur peuple dans la Résistance. Ils plantèrent une autre bombe dans le cinéma Bagatella , rue Karmelicka , strictement réservé aux SS. Leni Riefenstahl dévoilait sur l’écran les promesses de l’éternel féminin germanique aux spectateurs SS – momentanément dispensés d’ajouter à la gloire de leur pays en croisant le fer contre les barbares du ghetto ou en patrouillant les rues de moins en moins sûres de Cracovie – quand un immense éclair rougeâtre interrompit le spectacle.
Au cours des quelques mois qui allaient suivre, les hommes de l’OBZ allaient couler quelques vedettes de gendarmerie sur la Vistule, faire sauter quelques garages militaires en ville, émettre des Passierscheins pour des gens démunis de laissez-passer, expédier des photographies d’identité chez des gens qui établissaient des faux papiers. Ils allaient faire dérailler le train militaire entre Cracovie et Bochnia et mettre en circulation le journal de la Résistance. Ils réussirent même à faire tomber Spitz et Forster – deux des lieutenants du chef des OD Spira, qui avaient établi des listes de déportation portant sur des milliers de noms – dans un guet-apens monté par les gens de la Gestapo. C’était une variante d’une vieille
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