La Liste De Schindler
que Popescu, Grosz ou Schulz, en jouant sur leurs sentiments, leur cupidité, ou, quand le cas se présentait, leurs principes.
Certains ne manquaient pas d’idéal et savaient ce dont il retournait. Sedlacek, qui était venu à Cracovie à la fin de 1942 pour en savoir plus sur Oskar Schindler, était de ceux-là. Son cabinet dentaire de Vienne était tout à fait florissant et il n’avait certes pas besoin de faire passer des valises à double fond à travers les frontières de Pologne. Mais il était là, avec sa liste. Une liste en provenance d’Istanbul et sur laquelle on pouvait lire en deuxième position : Oskar Schindler.
Quelqu’un – était-ce Itzhak Stern, Ginter, l’homme d’affaires, Alexander Biberstein, le médecin, ou un autre ? – avait donc envoyé le nom d’Oskar aux groupes sionistes de Palestine. Sans le savoir, Herr Schindler avait été promu au rang d’homme juste.
Le Dr Sedlacek avait un ami en garnison à Cracovie, un ancien client viennois, le commandant de la Wehrmacht Franz von Korab. Le soir de son arrivée à Cracovie, il rencontra von Korab au bar de l’hôtel Cracovia . Sedlacek avait passé une triste journée. Il s’était rendu au bord de la Vistule pour examiner Podgorze, le ghetto entouré de murs et de fils de fer barbelés situé sur l’autre rive. Les gros nuages et le petit crachin d’hiver qui n’avait cessé de tomber faisaient apparaître l’endroit encore plus sinistre. Il fut heureux de quitter son poste d’observation quand vint l’heure de son rendez-vous.
La rumeur voulait, à Vienne, que von Korab eût une grand-mère juive. C’est ce que l’on disait en tout cas dans la salle d’attente du Dr Sedlacek où les bavardages généalogiques avaient remplacé les considérations sur la météo. Ce genre de spéculations était devenu extrêmement banal sur tout le territoire allemand. Dans les bistrots, certains clients étaient prêts à parier que la grand-mère de Reinhard Heydrich avait épousé un juif nommé Suss . Par amitié pour Sedlacek et en dépit des risques que cela comportait, von Korab avait avoué que, dans son cas, la rumeur était vraie. Il fallait qu’aujourd’hui von Korab renouvelle ce geste de confiance. Sedlacek lui demanda ce qu’il pensait de certaines personnes inscrites sur la liste d’Istanbul. Quand il entendit le nom de Schindler, il eut un petit rire indulgent. Bien sûr, il connaissait Herr Schindler. Il avait dîné plusieurs fois avec lui. C’était un très bel homme et qui s’y connaissait en affaires. Il était beaucoup plus futé qu’il ne prétendait l’être. « Nous allons l’appeler pour fixer un rendez-vous », dit von Korab.
A 10 heures, le lendemain matin, ils étaient dans les bureaux d’Emalia. Schindler les reçut avec sa courtoisie habituelle mais en restant sur ses gardes. Au bout d’un petit moment, le courant passa entre lui et l’homme venu de Vienne. Le commandant le sentit et s’excusa. Non, non, il n’avait malheureusement pas le temps de prendre le café.
— Très bien, dit Sedlacek quand von Korab fut parti. Je vais vous dire pourquoi je suis venu.
Il ne dit rien de l’argent qu’il avait apporté, ni des sommes qui seraient distribuées aux différents comités juifs au fur et à mesure que les contacts seraient établis. Ce que voulait savoir le bon docteur, et ceci, hors de toute affaire financière, c’était ce que pensait Herr Schindler de la guerre menée contre les juifs en Europe.
Une fois la question posée, Schindler eut une hésitation. Sedlacek s’attendait à un refus. L’usine de Schindler était en pleine expansion. Elle employait cinq cent cinquante juifs au rabais, selon les normes salariales fixées par les SS. L’Inspection des armements garantissait à Schindler des contrats de plus en plus fructueux. Il avait à sa disposition un certain nombre d’esclaves dont les SS garantissaient le travail au taux de sept Reichsmark cinquante par jour et par personne. S’il décidait de rester calé sur son siège en affichant son ignorance, ce ne serait guère une surprise.
— Oui, il y a un problème, docteur Sedlacek, grogna-t-il. Un vrai problème. Ce qu’ils font ici, aux habitants de ce pays, dépasse tout ce qu’on peut imaginer.
— Vous voulez dire, répondit Sedlacek, que vous pensez que mes commanditaires ne vous croiront pas ?
— J’arrive à peine à y croire moi-même, dit Schindler.
Il se leva, se dirigea vers le
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