La Loi des mâles
Philippe le Long debout devant l’autel
n’avait plus sur le corps que deux chemises superposées, l’une de fine toile,
et l’autre de soie blanche, et largement ouvertes sur la poitrine et sous les
aisselles. Le roi, avant d’être investi des signes de la majesté, se présentait
à l’assemblée de ses sujets comme un homme presque nu, et qui frissonnait.
Tous les attributs du sacre étaient
déposés sur l’autel, à la garde de l’abbé de Saint-Denis qui les avait
apportés. Adam Héron prit des mains de l’abbé les chausses, longs caleçons de
soie brodés de fleurs de lis, et aida le roi à les passer, ainsi que les
chaussures, également d’étoffe brodée. Puis Anseau de Joinville, en l’absence
du duc de Bourgogne, noua les éperons d’or aux pieds du roi, et les enleva
aussitôt. L’archevêque bénit la grande épée, qu’on prétendait être celle de
Charlemagne, et la soulevant par le baudrier la pendit au flanc du roi en
récitant :
— Accipe hunc gladium cum
Dei benedictione…
— Messire connétable,
approchez, dit le roi.
Gaucher de Châtillon s’avança et
Philippe, se défaisant du baudrier, lui remit l’épée.
Jamais connétable, dans toute
l’histoire des sacres, n’avait mieux mérité de tenir, pour son souverain,
l’insigne de la puissance militaire. Ce geste entre eux était plus que
l’accomplissement d’un rite ; ils échangèrent un long regard. Le symbole
se confondait avec la réalité.
De la pointe d’une aiguille d’or,
l’archevêque prit, dans la sainte ampoule que lui tendait l’abbé de Saint-Rémy,
une parcelle de cette huile qu’on disait envoyée du ciel, et la mêla de son
doigt avec le chrême préparé sur une patène. Puis l’archevêque oignit Philippe
en le touchant au sommet de la tête, à la poitrine, entre les épaules et aux
aisselles. Adam Héron rattacha les annelets et les agrappins qui fermaient les
tuniques. La chemise du roi serait plus tard brûlée, parce qu’elle avait été
effleurée de la sainte onction.
Le roi fut alors revêtu des
vêtements pris sur l’autel : d’abord la cotte de satin vermeil brodée de
fils d’argent, puis la tunique de satin bleu bordée de perles et semée de
fleurs de lis d’or, et, par-dessus, la dalmatique de semblable tissu, et, par-dessus
encore, le soq, grand manteau carré agrafé sur l’épaule droite par une fibule
d’or. Philippe sentait progressivement ses épaules s’appesantir. L’archevêque
accomplit l’onction des mains, glissa au doigt de Philippe l’anneau royal, lui
mit le lourd sceptre d’or en la main droite, la main de justice en la main
gauche. Après une génuflexion devant le tabernacle, le prélat enfin souleva la
couronne, tandis que le grand chambellan commençait l’appel des pairs présents.
— Magnifique et puissant
seigneur, le comte…
À cet instant précis, une voix
haute, impérieuse, s’éleva dans la nef :
— Arrête, archevêque ! Ne
couronne point cet usurpateur ; c’est la fille de Saint Louis qui te le
commande.
Un vaste remous parcourut
l’assistance. Toutes les têtes se tournèrent vers le point où l’on avait crié.
Sur l’estrade et parmi les officiants s’échangeaient des regards anxieux. Les
rangs de la foule s’écartèrent.
Entourée de quelques seigneurs, une
femme de grande taille, belle encore de visage, le menton ferme, les yeux
clairs et coléreux, l’étroit diadème et le voile des veuves posés sur une masse
de cheveux presque blancs, marchait vers le chœur.
Sur son passage on chuchotait :
— C’est la duchesse
Agnès ; c’est elle !
On tendait le cou pour la voir. On
s’étonnait qu’elle eût gardé si belle prestance et pas si ferme. Parce qu’elle
était la fille de Saint Louis, l’image qu’on se faisait d’elle appartenait au
lointain des âges ; on la croyait une ancêtre, une ombre toute cassée dans
un château de Bourgogne. Soudain elle surgissait telle qu’elle était,
réellement, une femme de cinquante ans, encore pleine de vie et d’autorité.
— Arrête, archevêque,
répéta-t-elle quand elle ne fut plus qu’à quelques pas de l’autel. Et vous tous
écoutez… Lisez, Mello ! ajouta-t-elle pour son conseiller qui
l’accompagnait.
Guillaume de Mello déplia un
parchemin et lut :
— « Nous, très noble dame
Agnès de France, duchesse de Bourgogne, fille de notre Sire le roi Louis le
saint, en notre nom et celui de notre fils, très noble et
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