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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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parce que vous avez fait passer,
comme toujours, vos intérêts avant votre honneur. Mais, à moi non plus, mon
épouse infidèle n’a peut-être pas fini de servir.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Je veux dire ce que je
dis ! répliqua Charles de La Marche. Et je vous déclare derechef que si
vous voulez me voir tout à l’heure au sacre, j’y veux être assis sur un siège
de pair. Autrement, je m’en repars !
    Adam Héron rentra dans la chambre et
avertit le roi, d’une inclinaison de tête, que ses ordres avaient été transmis.
Philippe le remercia de la même manière.
    — Allez-vous-en donc, mon
frère, dit-il. Une seule personne aujourd’hui m’est nécessaire :
l’archevêque de Reims. Vous n’êtes point archevêque ? Alors partez, partez
si cela vous plaît.
    — Mais pourquoi, s’écria
Charles, pourquoi notre oncle Valois obtient-il toujours ce qu’il veut, et moi
jamais ?
    Par la porte entrouverte, on
entendait les chants de la procession qui approchait.
    « Quand je pense que si je
venais à mourir, ce sot deviendrait régent ! » se disait Philippe. Il
posa la main sur l’épaule de son frère.
    — Quand vous aurez nui au
royaume d’aussi longues années que l’a fait notre oncle, vous pourrez exiger
d’être payé le même prix. Mais, grâces à Dieu, vous êtes moins diligent dans la
sottise.
    Des yeux, il lui désigna la porte,
et le comte de La Marche sortit, livide, labouré de rage impuissante, pour se
heurter à un grand afflux de clergé.
    Philippe regagna le lit et y reprit
la position étendue, mains croisées, paupières closes.
    Des coups furent frappés contre la
porte ; cette fois, c’étaient les évêques qui cognaient de leurs crosses.
    — Qui demandez-vous ? dit
Adam Héron.
    — Nous demandons le roi,
répondit une voix grave.
    — Qui le veut ?
    — Les pairs évêques.
    Les vantaux furent ouverts et les
évêques de Langres et de Beauvais entrèrent, mitre en tête et reliquaire au
col. Ils s’approchèrent du lit, aidèrent le roi à se lever, lui présentèrent
l’eau bénite, et, tandis qu’il s’agenouillait sur un carreau de soie, dirent
l’oraison.
    Puis Adam Héron posa sur les épaules
de Philippe un manteau de velours écarlate semblable à celui de sa robe. Et
soudain éclata une querelle de préséance. Normalement, le duc-archevêque de
Laon devait prendre place à droite du roi. Or le siège de Laon, à l’époque,
était sans titulaire. L’évêque de Langres, Guillaume de Durfort, était censé remplacer
cet absent. Mais Philippe désigna l’évêque de Beauvais pour tenir la droite. Il
avait deux raisons à cela : d’une part l’évêque de Langres avait accueilli
un peu trop facilement les anciens Templiers dans son diocèse, en leur donnant
des places de clercs ; d’autre part, l’évêque de Beauvais était un
Marigny, le troisième frère, très habile prélat toujours disposé à servir le
pouvoir à condition d’en retirer honneur et profit. Ne l’avait-il pas prouvé
moins de deux ans auparavant en siégeant au tribunal chargé de condamner son
aîné Enguerrand ? Philippe ne l’estimait pas, mais savait qu’il lui
fallait se le concilier.
    — Je suis évêque-duc ;
c’est à moi de tenir la dextre, disait Guillaume de Durfort.
    — Le siège de Beauvais est plus
antique que celui de Langres, répondait Marigny.
    Leurs visages commençaient à rougir
sous les mitres.
    — Messeigneurs, le roi décide,
dit Philippe.
    Et Durfort dut se ranger à gauche.
    « Un mécontent de plus »,
pensa Philippe.
    Ils descendirent ainsi, parmi les
croix, les cierges et les fumées d’encens, jusqu’à la rue où toute la cour, la
reine en tête, était déjà formée en cortège. On gagna la cathédrale.
    D’immenses clameurs s’élevaient sur
le passage du roi. Philippe était assez pâle et plissait ses yeux myopes. La
terre de Reims lui paraissait devenue soudain étrangement dure au pas ; il
avait l’impression de marcher sur du marbre.
    Au portail de la cathédrale, il y
eut un arrêt pour de nouvelles oraisons ; puis, dans le fracas des orgues,
Philippe avança dans la nef vers l’autel, vers la grande estrade, vers le trône
où, enfin, il s’assit. Son premier geste fut pour désigner à la reine le siège
préparé à la droite du sien.
    L’église était comble. Philippe
n’apercevait qu’une mer de couronnes, d’épaules brodées, de joyaux, de chasubles
étincelant sous les cierges.

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