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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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puissant duc Eudes,
nous adressons à vous, barons et seigneurs ici présents ou dehors dans le
royaume, pour faire défense que l’on reconnaisse roi le comte de Poitiers qui
n’est point héritier légitime de la couronne, et protester qu’on diffère le
sacre jusqu’à tant qu’aient été reconnus les droits de Madame Jeanne de France
et de Navarre, fille et héritière du défunt roi et de notre fille. »
    L’angoisse augmentait sur l’estrade,
et l’on commençait à distinguer de mauvais murmures dans le fond de l’église.
La foule se tassait.
    L’archevêque semblait embarrassé de
la couronne, ne sachant s’il devait la reposer sur l’autel, ou poursuivre.
    Philippe restait immobile, tête nue,
impuissant, alourdi de quarante livres d’or et de brocarts, et les mains
encombrées de la Puissance et de la Justice. Jamais il ne s’était senti aussi
démuni, aussi menacé, aussi seul. Un gantelet de fer l’étreignait au creux de
la poitrine. Son calme était effrayant. Accomplir un seul geste, ouvrir la
bouche en cet instant, entamer une controverse, c’était courir au tumulte, et
sans doute à l’échec. Il demeura figé dans la gangue de ses ornements, comme si
la bataille se passait au-dessous de lui.
    Il entendait les pairs
ecclésiastiques chuchoter :
    — Que devons-nous faire ?
    Le prélat de Langres, qui n’oubliait
pas la vexation essuyée au lever, était d’avis d’arrêter la cérémonie.
    — Retirons-nous et débattons,
proposait un autre.
    — Nous ne pouvons, le roi est
déjà l’oint du Seigneur, il est roi ; couronnez-le, répliquait l’évêque de
Beauvais.
    La comtesse Mahaut se penchait vers
sa fille Jeanne et lui murmurait :
    — La gueuse ! Elle mérite
d’en crever.
    De ses paupières de tortue, le
connétable fit signe à Adam Héron de reprendre l’appel.
    — Magnifique et puissant
seigneur, le comte de Valois, pair du roi, prononça le chambellan.
    Toute l’attention alors reflua vers
l’oncle du roi. S’il répondait à l’appel, Philippe avait gagné, car c’était la
caution des pairs laïcs, du pouvoir réel, que Valois apportait. S’il refusait,
Philippe avait perdu.
    Valois ne montrait guère
d’empressement, et l’archevêque attendait visiblement sa décision.
    Philippe alors esquissa quand même
un mouvement ; il tourna la tête vers son oncle ; le regard qu’il lui
adressa valait cent mille livres. La Bourgogne ne paierait jamais autant.
    L’ex-empereur de Constantinople se
leva, le visage crispé, et vint se placer derrière son neveu.
    « Comme j’ai bien fait de ne
pas lésiner avec lui ! » pensa Philippe.
    — Noble et puissante Dame
Mahaut, comtesse d’Artois, pair du roi, appela Adam Héron.
    L’archevêque éleva le lourd cercle
d’or surmonté d’une croix à la partie frontale, en prononçant enfin :
    — Coronet te Deus.
    L’un des pairs laïcs devait aussitôt
prendre la couronne pour la maintenir au-dessus de la tête du souverain, et les
autres pairs y poser seulement un doigt symbolique. Déjà Valois avançait les
mains ; mais Philippe, d’un mouvement de son sceptre, l’arrêta.
    — Vous, ma mère, tenez la
couronne, dit-il à Mahaut.
    — Merci, mon fils, murmura la
géante.
    Elle recevait, par cette désignation
spectaculaire, le remerciement de son double régicide. Elle prenait la place de
premier pair du royaume, et la possession du comté d’Artois lui était, avec
éclat, confirmée.
    — Bourgogne ne s’incline
point ! s’écria la duchesse Agnès.
    Et, rassemblant sa suite, elle
marcha vers la sortie tandis que, lentement, Mahaut et Valois reconduisaient
Philippe à son trône.
    Quand il s’y fut assis, les pieds
reposant sur un coussin de soie, l’archevêque déposa sa mitre et vint baiser le
roi sur la bouche en disant :
    — Vivat rex in aeternum.
    Les autres pairs ecclésiastiques et
laïcs imitèrent son geste en répétant :
    — Vivat rex in aeternum.
    Philippe se sentait las. Il venait
de gagner sa dernière bataille, après sept mois de luttes incessantes pour
parvenir à ce pouvoir suprême que nul maintenant ne pouvait plus lui disputer.
    Les cloches fracassaient l’air pour
sonner son triomphe ; dehors, le peuple hurlait, lui souhaitant gloire et
longue vie ; tous ses adversaires étaient matés. Il avait un fils pour
assurer sa descendance, une épouse heureuse pour partager ses peines et ses
joies. Le royaume de France lui appartenait.
    « Comme je

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