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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Un firmament humain s’étendait à ses pieds.
    Il ramena son regard vers de plus
proches parages, et tourna la tête, à droite et à gauche, pour distinguer les
présences sur l’estrade. Charles de Valois était là, et Mahaut d’Artois,
monumentale, ruisselante de brocarts et de velours ; elle lui sourit.
Louis d’Évreux se tenait un peu plus loin. Mais Philippe n’apercevait pas
Charles de La Marche, ni non plus Philippe de Valois que son père semblait
également chercher des yeux.
    L’archevêque de Reims, Robert de
Courtenay, alourdi par les ornements sacerdotaux, se leva de son trône qui
faisait face au siège royal. Philippe l’imita et vint se prosterner devant
l’autel.
    Tout le temps que dura le Te Deum,
Philippe se demanda : « Les portes ont-elles été bien fermées ?
Mes ordres ont-ils été fidèlement suivis ? Mon frère n’est pas homme à
rester au fond d’une chambre pendant qu’on me couronne. Et pourquoi Philippe de
Valois est-il absent ? Que me préparent-ils ? J’aurais dû laisser
Galard dehors, pour qu’il soit mieux à même de commander ses
arbalétriers. »
    Or, tandis que le roi s’inquiétait
ainsi, son frère cadet pataugeait dans un marais.
    En sortant, furieux, de la chambre
royale, Charles de La Marche s’était précipité au logement des Valois. Il
n’avait pas trouvé son oncle, déjà parti pour la cathédrale, mais seulement
Philippe de Valois qui achevait de se préparer et auquel il avait conté, hors
d’haleine, ce qu’il appelait « la félonie » de son frère.
    Fort liés, parce que fort proches
par leurs goûts et leurs natures, les deux cousins s’entendaient bien à se
monter réciproquement la tête.
    — S’il en est ainsi, je
n’assisterai pas non plus au sacre. Je pars avec toi, avait déclaré Philippe de
Valois avec la satisfaction d’affirmer une indépendance à l’égard du roi, de la
cour et de son propre père.
    Là-dessus, de rassembler leurs
escortes et de se diriger fièrement vers une porte de la ville. Leur superbe
avait dû s’incliner devant les sergents d’armes.
    — Nul n’entre ni ne sort. Ordre
du roi.
    — Même les princes de
France ?
    — Même les princes ; ordre
du roi.
    — Ah ! Il veut nous
contraindre ! s’était écrié Philippe de Valois qui maintenant prenait
l’affaire à son compte. Eh bien, nous sortirons quand même !
    — Comment veux-tu, puisque les
portes sont closes ?
    — Feignons de rentrer à mon
logis, et laisse-moi agir.
    La suite ressemblait à une équipée
de gamins. Les écuyers du jeune comte de Valois avaient été dépêchés à chercher
des échelles, vite dressées dans le fond d’une impasse, en un endroit où les
murs ne semblaient pas gardés. Et voici les deux cousins, fesses en l’air,
partis à l’escalade, sans se douter que de l’autre côté s’étendaient les
marécages de la Vesle. Par cordes, ils descendirent dans le fossé. Charles de
La Marche perdit pied au milieu de l’eau boueuse et glacée ; il s’y fût
noyé si son cousin, qui avait six pieds de haut et les muscles solides, ne
l’eût à temps repêché. Puis ils s’engagèrent, comme des aveugles, dans les
marais. Il n’était plus question pour eux de renoncer. Avancer ou reculer
revenait au même. Ils jouaient leur vie et en auraient pour trois grandes
heures à se tirer de ce bourbier. Les quelques écuyers qui les avaient suivis
barbotaient autour d’eux et ne se gênaient pas pour les maudire à haute voix.
    — Si jamais nous sortons de là,
criait La Marche pour soutenir son courage, je sais bien où j’irai, je sais
bien. À Château-Gaillard !
    Philippe de Valois, ruisselant de
sueur malgré le froid, montra une tête stupéfaite au-dessus des roseaux
pourrissants.
    — Tu tiens donc encore à
Blanche ? demanda-t-il.
    — Je n’y tiens point, mais j’ai
des choses à savoir d’elle. Elle est la seule, elle est la dernière à pouvoir
nous dire si la fille de Louis est bâtarde, et si mon frère Philippe a été cocu
comme moi ! Avec son témoignage, je pourrai honnir mon frère, à mon tour,
et faire donner la couronne à la fille de Louis.
    Le son des cloches de Reims, battant
à toute volée, parvenait jusqu’à eux.
    — Quand je pense, quand je
pense que c’est pour lui qu’on sonne ! disait Charles de La Marche, la
moitié du corps dans la boue et la main tendue vers la ville…
    … Dans la cathédrale, les
chambellans venaient de dévêtir le roi.

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