La Loi des mâles
à
être brefs.
La Marche eut un mouvement qui
voulait dire : « Nous verrons, nous verrons » ; et il prit
un siège, s’efforçant de se gonfler et de tenir le menton haut.
« Ce pauvre Charles !
pensa Philippe. Voilà qu’il veut jouer les manières de notre oncle
Valois ; il n’en a pas l’épaisseur. »
— Philippe, reprit La Marche,
je vous ai, à maintes reprises, demandé de me conférer la pairie, et
d’accroître mon apanage ainsi que mon revenu. Vous l’ai-je demandé, oui ou
non ?
— Avide famille… murmura
Philippe.
— Et vous m’avez toujours
opposé tête sourde. À présent, je vous le dis pour l’ultime fois ; je suis
venu à Reims, mais je n’assisterai tout à l’heure à votre sacre que si j’y ai
siège de pair. Sinon, je m’en repars.
Philippe le regarda un moment sans
rien dire, et sous ce regard, Charles se sentit diminuer, fondre, perdre toute
sûreté de soi et toute importance.
En face de leur père Philippe le
Bel, le jeune prince, naguère, éprouvait la même sensation de sa propre
insignifiance.
— Un instant, mon frère, dit
Philippe qui se leva et alla parler à Adam Héron, retiré dans un angle de la
pièce.
— Adam, demanda-t-il à voix
basse, les barons qui ont été quérir la sainte ampoule à l’abbaye de Saint-Rémy
sont-ils de retour ?
— Oui, Sire, ils sont déjà à la
cathédrale, avec le clergé de l’abbaye.
— Bien. Alors les portes de la
ville… comme à Lyon. Et de la main il fit trois gestes à peine perceptibles,
qui signifiaient : les herses, les barres, les clefs.
— Le jour du sacre, Sire ?
murmura Héron stupéfait.
— Justement, le jour du sacre.
Et faites diligence.
Le chambellan sorti, Philippe revint
vers le lit.
— Alors, mon frère, que me demandiez-vous ?
— La pairie, Philippe.
— Ah ! Oui… la pairie. Eh
bien, mon frère, je vous l’accorderai, je vous l’accorderai volontiers ;
mais pas sur-le-champ, car vous avez trop clamé vos désirs. Si je vous cédais
ainsi, on dirait que j’agis non par volonté mais par contrainte, et chacun se
croirait autorisé à se comporter comme vous. Sachez donc qu’il n’y aura plus
d’apanages créés ou accrus avant que n’ait été rendue l’ordonnance qui
déclarera inaliénable aucune partie du domaine royal [26] .
— Mais enfin, vous n’avez plus
besoin de la pairie de Poitiers ! Que ne me la donnez-vous ? Convenez
que ma part est insuffisante !
— Insuffisante ? s’écria
Philippe que la colère commençait à gagner. Vous êtes né fils de roi, vous êtes
frère de roi ; croyez-vous vraiment que la part soit insuffisante pour un
homme de votre cervelle et pour les mérites que vous avez ?
— Mes mérites ? dit
Charles.
— Oui, vos mérites, qui sont
petits. Car il faut bien finir par vous le dire en face, Charles : vous
êtes un benêt. Vous l’avez toujours été et vous ne vous améliorez point avec
l’âge. Déjà, quand vous n’étiez qu’enfant, vous sembliez si niais à tous, et si
peu développé d’esprit, que notre mère elle-même en avait mépris, la sainte
femme ! Et vous appelait « l’oison. » Rappelez-vous,
Charles : « l’oison ». Vous l’étiez et vous l’êtes resté. Notre
père vous appela maintes fois à son Conseil ; qu’y avez-vous appris ?
Vous bayiez aux mouches, pendant qu’on débattait les affaires du royaume et je
ne me rappelle pas qu’on ait jamais entendu de vous une parole qui n’ait fait
hausser les épaules à notre père ou à messire Enguerrand. Croyez-vous donc que
je tienne tant à vous rendre plus puissant, pour le beau secours que vous
m’iriez porter, alors que depuis six mois vous ne cessez de jouer contre
moi ? Vous aviez tout à obtenir par un autre chemin. Vous vous pensez de
forte nature, et comptez qu’on va ployer devant vous ? Nul n’a oublié la
piteuse figure que vous montrâtes à Maubuisson, quand vous étiez à bêler :
« Blanche, Blanche ! » et à pleurer votre outrage devant toute
la cour.
— Philippe ! Est-ce à vous
de me dire cela ? s’écria La Marche en se dressant, le visage décomposé.
Est-ce à vous dont la femme…
— Pas un mot contre Jeanne, pas
un mot contre la reine ! coupa Philippe la main levée. Je sais que pour me
nuire, ou pour vous sentir moins seul dans votre infortune, vous continuez à
clabauder vos mensonges.
— Vous avez innocenté Jeanne
parce que vous vouliez garder la Bourgogne,
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