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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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pour notre fils aîné. Ainsi en sera-t-il terminé avec une déplorable coutume
qui veut que les rois d’Angleterre prennent leurs épouses en France, sans qu’il
leur en vienne jamais aucun bienfait.
    Le gros Bouville pâlit sous
l’affront et s’inclina. Il adressa à la reine un regard désolé, et sortit.
    Première conséquence, et bien
imprévue, de l’évasion de Roger Mortimer : le roi d’Angleterre rompait
avec les alliances traditionnelles. Il avait voulu, par ce trait, blesser sa
femme ; mais il avait blessé en même temps ses demi-frères Norfolk et Kent
dont la mère était française. Les deux jeunes gens regardèrent leur cousin
Tors-Col, lequel haussa un peu plus l’épaule, d’un mouvement d’indifférence
résignée. Le roi venait, sans réflexion, de s’aliéner à jamais le puissant
comte de Valois dont chacun savait qu’il gouvernait la France au nom de son
neveu Charles le Bel.
    Le jeune prince Édouard, toujours
près de la fenêtre, immobile et silencieux, observait sa mère, jugeait son
père. C’était de son mariage, après tout, qu’il s’agissait, et dans lequel il
n’avait mot à dire. Mais si on lui avait demandé ses préférences entre son sang
d’Angleterre et celui de France, il eût penché pour ce dernier.
    Les trois plus jeunes enfants
avaient cessé de jouer ; la reine fit signe aux chambrières qu’on les
éloignât.
    Puis, très calmement, les yeux dans
ceux du roi, elle dit :
    — Quand un époux hait son
épouse, il est naturel qu’il la tienne pour responsable de tout.
    Édouard n’était pas homme à répondre
de front.
    — Toute ma garde de la Tour
enivrée à mort, cria-t-il, le lieutenant envolé avec ce félon, et mon constable
malade à périr de la drogue dont on l’a abreuvé ! À moins qu’il ne feigne
la maladie, le traître, pour éviter le châtiment qu’il mérite ! Car
c’était à lui de veiller à ce que mon prisonnier ne s’échappât ; vous
entendez, Winchester ?
    Hugh Le Despenser le père, depuis un
an comte de Winchester, et qui était responsable de la nomination du constable
Seagrave, se courba au passage de l’orage. Il avait l’échine étroite et maigre,
avec une voussure en partie naturelle et en partie acquise dans une longue
carrière de courtisan. Ses ennemis l’avaient surnommé « la belette ».
La cupidité, l’envie, la lâcheté, l’égoïsme, la fourberie, et de plus toutes
les délectations que peuvent procurer ces vices, semblaient s’être logés dans
les rides de son visage et sous ses paupières rougies. Pourtant il ne manquait
pas de courage ; mais il ne se connaissait de sentiments humains qu’envers
son fils et quelques rares amis, dont Seagrave, précisément, faisait partie.
    — My Lord, prononça-t-il d’une
voix calme, je suis certain que Seagrave n’est en rien coupable…
    — Il est coupable de négligence
et de paresse ; il est coupable de s’être laissé berner ; il est
coupable de n’avoir rien deviné du complot qui se montait sous son nez ;
il est coupable de malchance peut-être… Je ne pardonne pas la malchance. Bien
que Seagrave soit de vos protégés, Winchester, il sera châtié ; on ne dira
donc point que je ne tiens pas la balance égale, et que mes faveurs ne vont
qu’à vos créatures. Seagrave remplacera le Lord de Wigmore en prison. Ses
successeurs, ainsi, veilleront à faire meilleure garde. Voilà, mon fils,
comment l’on gouverne ! ajouta le roi en s’arrêtant devant l’héritier du
trône.
    L’enfant leva les yeux vers lui et
les rabaissa aussitôt.
    Hugh le jeune, qui savait assez bien
faire dévier les colères du roi, renversa la tête en arrière et dit, en
regardant les poutres du plafond :
    — Celui qui par trop vous
nargue, cher Sire, est l’autre félon, cet évêque Orleton qui a tout apprêté de
sa main et paraît vous redouter si peu qu’il n’a pas même pris la peine de
s’enfuir ou de se cacher.
    Édouard regarda Hugh le Jeune avec
reconnaissance et admiration. Comment pouvait-on ne pas être ému par la vue de
ce profil, par ces belles attitudes que Hugh prenait en parlant, par cette voix
haute, bien modulée, et puis cette manière, à la fois tendre et respectueuse,
qu’il avait pour dire : « Cher Sire », à la française, comme
autrefois le gentil Gaveston que les barons et les évêques avaient tué… Mais à
présent Edouard était un homme mûr, averti de la méchanceté des hommes, et

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