La Louve de France
sans
doute… »
— My Lord, je ne surveille pas
les aumônes, dit Aliénor Le Despenser.
Le favori releva les yeux et sourit.
Il féliciterait sa femme pour ce trait.
— Je vois donc qu’il me faudra
aussi renoncer aux aumônes, dit Isabelle. Il ne me restera bientôt plus rien
d’une reine, pas même la charité.
— Et il faudra aussi, Madame,
pour l’amour que vous me portez et que chacun voit, poursuivit Édouard, vous
séparer de Lady Mortimer, car nul ne comprendrait plus dans le royaume qu’elle
restât auprès de vous désormais.
Cette fois, la reine pâlit et se
tassa un peu sur son siège. Les grandes mains nettes de Lady Jeanne se mirent à
trembler.
— Une épouse, Édouard, ne peut
être tenue de partager en tout les actes de son époux. J’en suis assez bien
l’exemple. Veuillez croire que Lady Mortimer est aussi peu associée aux fautes
de son mari que je le suis moi-même à vos péchés, s’il vous arrive d’en
commettre !
Mais cette fois, l’attaque ne
réussit pas.
— Lady Jeanne se rendra au
château de Wigmore, lequel sera désormais sous la surveillance de mon frère
Kent, et ceci jusqu’à ce que j’aie résolu ce qu’il me plaira de faire des biens
d’un traître dont je ne veux plus que le nom soit prononcé en ma présence…
avant la sentence de mort. Je pense, Lady Jeanne, que vous préférerez vous
retirer de gré plutôt que de force.
— Allons, dit Isabelle, je vois
que l’on me veut tout à fait seule.
— Que parlez-vous de solitude,
Madame ! dit Hugh le Jeune de sa belle voix modulée. Ne sommes-nous pas
tous vos amis fidèles, étant ceux du roi ? Et madame Aliénor, ma dévouée
femme, ne vous est-elle pas de constante compagnie ? C’est un joli livre
que vous possédez là, ajouta-t-il en montrant le volume, et finement
enluminé ; me ferez-vous la grâce de me le prêter ?
— Mais certes, certes, la reine
vous le prête ! dit le roi. N’est-ce pas, Madame, que vous nous faites le
plaisir de prêter ce livre à notre ami Gloucester ?
— Bien volontiers, Sire mon
époux, bien volontiers. Et je sais, quand il s’agit de notre ami Le Despenser,
ce que prêter veut dire. Il y a dix ans que je lui ai prêté ainsi mes perles,
et vous voyez qu’il les porte toujours au cou.
Elle ne désarmait pas, mais le cœur
lui battait à grands coups dans la poitrine. Elle allait être seule désormais à
supporter les quotidiennes blessures. Mais si un jour elle parvenait à se
venger, elle n’oublierait rien.
Hugh le Jeune posa le livre sur un
coffre et fit un signe d’intelligence à sa femme. Les lais de Marie de France
iraient rejoindre le fermail d’or à lions de pierreries, les trois couronnes
d’or, les quatre couronnes enrichies de rubis et d’émeraudes, les cent vingt
cuillers d’argent, les trente grands plats, les dix hanaps d’or, la garniture
de chambre en drap d’or losange, le char pour six chevaux, le linge, les
bassins d’argent, les harnais, les ornements de chapelle, toutes ces choses
merveilleuses, dons de son père ou de ses proches, qui avaient formé la
corbeille de noces de la reine, et qui étaient passées aux mains des amants
d’Édouard, à Gaveston d’abord, au Despenser ensuite. Même le grand manteau de
drap de Turquie, tout brodé, et qu’elle portait le jour de son mariage, lui
avait été enlevé !
— Allons, mes Lords, dit le roi
en frappant des mains, qu’on se hâte aux tâches que j’ai données et que chacun
veille à son devoir.
C’était l’expression habituelle, une
formule encore qu’il croyait royale, par laquelle il marquait la fin de ses
Conseils. Il sortit, et chacun à sa suite, et la pièce se dépeupla.
L’ombre commençait à descendre dans
le cloître du prieuré de Kirkham et, avec l’ombre, un peu de fraîcheur entrait
par les fenêtres. La reine Isabelle et Lady Mortimer n’osaient prononcer un
mot, de peur de se mettre à pleurer. Seraient-elles jamais à nouveau réunies,
et quel sort, à chacune, était-il promis ?
Le jeune prince Édouard, les yeux
baissés, vint se placer silencieusement derrière sa mère, comme s’il voulait
remplacer l’amitié qu’on arrachait à la reine.
Lady Le Despenser s’approcha pour
prendre le livre qui avait plu à son mari, un beau livre, dont la reliure de
velours était rehaussée de pierreries. Il y avait longtemps que l’ouvrage
excitait sa convoitise. Comme elle allait s’en saisir, le jeune prince Édouard
y
Weitere Kostenlose Bücher