Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
dents fines,
pressées les unes contre les autres, de petites dents carnassières, bien
coupantes. Isabelle était visiblement satisfaite du coup qu’elle venait de
porter.
    Hugh le Jeune était devenu
écarlate ; Hugh le père feignait de n’avoir pas entendu.
    Édouard allait se venger
certainement ; mais de quelle manière ? La riposte tardait à venir.
La reine observait les gouttelettes de sueur qui perlaient au front de son
mari. Rien ne répugne davantage à une femme que la sueur d’un homme qu’elle a
cessé d’aimer.
    — Kent, cria le roi, je vous ai
fait gardien des Cinque Ports et gouverneur de Douvres. Que gardez-vous en ce
moment ? Pourquoi n’êtes-vous pas sur les côtes que vous avez à commander
et sur lesquelles notre félon doit chercher à s’embarquer ?
    — Sire mon frère, dit le jeune
comte de Kent tout éberlué, c’est vous qui m’avez donné ordre de vous
accompagner en votre voyage…
    — Eh bien, à présent, je vous
en donne un autre qui est de rejoindre votre comté, d’en faire battre les
bourgs et les campagnes à la recherche du fugitif, et de veiller vous-même à ce
qu’on visite tous les bateaux qui seront dans les ports.
    — Qu’on mette des espions à
bord des bâtiments et qu’on prenne ledit Mortimer, vif ou mort, s’il venait à y
monter, dit Hugh le jeune.
    — C’est justement conseillé,
Gloucester, approuva Edouard. Quant à vous, Stapledon…
    L’évêque d’Exeter ôta son pouce de
ses dents et murmura :
    — My Lord…
    — Vous allez à toute hâte
regagner Londres ; vous irez à la Tour sous la raison d’y vérifier le
Trésor ; vous prendrez la Tour sous votre commandement et surveillance
jusqu’à ce qu’un nouveau constable soit nommé. Baldock établira sur l’heure,
pour l’un et l’autre, les commissions qui vous feront obéir.
    Henry Tors-Col, les yeux vers la
fenêtre et l’oreille contre l’épaule, semblait rêver. Il calculait… Il
calculait que six jours s’étaient écoulés depuis l’évasion de Mortimer, qu’il
en faudrait huit au moins pour que les ordres commencent à entrer en exécution,
et qu’à moins d’être un fol, ce qui n’était naturellement pas le cas de
Mortimer, celui-ci aurait à coup sûr quitté le royaume [15] . Il se félicitait
aussi de s’être solidarisé avec la plupart des évêques et des seigneurs qui,
après Boroughbridge, avaient obtenu la vie sauve pour le baron de Wigmore. Car,
à présent que celui-ci s’était évadé, l’opposition aux Despensers allait
peut-être retrouver le chef qui lui manquait depuis la mort de Thomas de
Lancastre, un chef de plus d’efficace, plus habile et plus fort que ne l’avait
été Thomas…
    Le dos royal ondula ; Édouard
pivota sur les talons pour se replacer face à sa femme.
    — Eh, si ! Madame ;
je vous tiens justement pour responsable. Et d’abord lâchez cette main que vous
ne cessez de serrer depuis que je suis entré ! Lâchez la main de Lady
Jeanne ! cria Édouard en frappant le sol du pied. C’est fournir caution à
un traître que de mettre tant d’ostentation à en garder l’épouse auprès de soi.
Ceux qui ont aidé à l’évasion de Mortimer pensaient bien qu’ils avaient
l’agrément de la reine… Et puis on ne s’évade pas sans argent ; les
trahisons se payent, les murs se percent avec de l’or. De la reine à sa dame de
parage, de la dame de parage à l’évêque, de l’évêque au rebelle, le chemin est
facile. Il va me falloir vérifier plus étroitement votre cassette.
    — Sire mon époux, je crois que
ma cassette est assez bien contrôlée, dit Isabelle en désignant Lady Le
Despenser.
    Hugh le Jeune semblait s’être
soudain désintéressé du débat. Enfin la colère du roi se tournait, comme à
l’habitude, contre la reine, et Hugh se sentait un peu plus triomphant. Il prit
un livre qui se trouvait là et que lady Mortimer lisait à la reine avant
l’entrée du comte de Bouville. C’était un recueil des lais de Marie de
France ; le signet de soie marquait ce passage :
    En Lorraine ni en Bourgogne,
    Ni en Anjou ni en Gascogne,
    En ce temps ne pouvait trouver
    Si bon ni si grand chevalier.
    Sous ciel n’était dame ou
pucelle,
    Qui tant fut noble et tant fut
belle
    Qui n’en voulut amour avoir… [16]
    « La France, toujours la
France… Elles ne lisent que ce qui touche à ce pays, se disait Hugh. Et quel
est dans leur pensée ce chevalier dont elles rêvent ? Le Mortimer,

Weitere Kostenlose Bücher